La COP16 biodiversité se termine à Cali, échec des négociations sur le financement Nord-Sud
Le grand accord sur le financement n'a pas été trouvé par la présidence colombienne de la COP16 biodiversité, malgré une nuit supplémentaire de négociations. "C'est fini", a déclaré samedi matin à l'AFP Susana Muhamad, la ministre colombienne de l'Environnement qui présidait la conférence, depuis la tribune où elle se congratulait avec ses équipes.
Après 10 heures de disputes nocturnes et quelques victoires remportées, le quorum n'était plus rempli, trop de délégués étant partis se coucher ou attraper leur vol de retour.
"Bien sûr cela rend plus faible et plus lent le potentiel" du processus onusien, a déclaré Susana Muhamad. Mais "le gouvernement colombien s'est beaucoup mobilisé" et "au final, cela dépend des parties" (les pays), s'est-elle justifiée. La clôture formelle des travaux de la COP16 est donc reportée, a expliqué David Ainsworth, porte-parole de la Convention sur la diversité biologique (CDB).
"Malheureusement, je pense que les Etats du nord n'ont pas pris conscience du niveau de crise dans lequel nous sommes et de la nature globale de cette crise. La biodiversité est un bien commun, pas seulement des espèces exotiques réparties ici ou là", déplore au micro de Forum Philippe Grandcolas, directeur scientifique de l'Institut Ecologie et Environnement au CNRS, coauteur de "Tout comprendre (ou presque) sur la biodiversité".
Comment mobiliser l'argent?
Cette conférence avait une mission centrale: stimuler la timide application de l'accord de Kunming-Montréal, scellé il y a deux ans pour sauver la planète et les êtres vivants de la déforestation, de la surexploitation, du changement climatique et de la pollution. Cet accord prévoit de placer 30% des terres et des mers dans des aires protégées, parmi 23 objectifs à atteindre d'ici 2030.
Pour y parvenir, l'accord prévoit de porter à 200 milliards de dollars les dépenses annuelles mondiales pour la nature. Et les pays développés se sont engagés à fournir 30 milliards de dollars d'ici 2030 (contre environ 15 milliards en 2022, selon l'OCDE).
Mais comment mobiliser l'argent? Après douze jours de sommet, ni les pays riches, menés à Cali par l'Union européenne, le Japon et le Canada, ni le monde en développement, Brésil et groupe Afrique en tête, n'ont fait un pas vers l'autre.
"Bien sûr cela rend plus faible et plus lent le potentiel" du processus onusien, censé remédier à la crise de la nature qui menace la prospérité de l'humanité, a déclaré Susana Muhamad. "Le gouvernement colombien s'est beaucoup mobilisé (...) le peuple colombien a tout donné, (...) mais au final, cela dépend des parties et du processus de négociation", a-t-elle justifié, au bord des larmes.
Cette bataille financière Nord-Sud doit toutefois reprendre le 11 novembre, dans l'autre COP, celle sur le climat, en Azerbaïdjan. Et portera sur des montants dix fois plus élevés.
Plusieurs décisions
La présidence colombienne se félicite en revanche d'avoir obtenu l'adoption de décisions dont elle avait fait sa priorité: un statut renforcé pour les peuples autochtones dans les COP biodiversité, un texte sur la reconnaissance des "afrodescendants", et la mise en oeuvre d'un fonds multilatéral (lire encadrés).
Ce dernier vise à partager avec les pays en développement les bénéfices réalisés par des entreprises grâce au génome numérisé de plantes et animaux de leurs territoires.
L'obtention d'un statut renforcé pour les peuples autochtones dans les COP biodiversité est quelque chose de positif, souligne Philippe Grandcolas. Mais les pays négociateurs auraient dû faire un pas de plus vers ces peuples autochtones.
"Leur culture qui considère la nature comme un bien commun n'a pas été adoptée par les négociateurs d'une manière générale. On est dans un antagonisme qui est purement budgétaire entre des pays qui ne se rendent pas compte qu'ils jouent perdants-perdants alors qu'ils pourraient essayer de jouer gagnants-gagnants."
Après plus de dix heures d'âpres débats nocturnes samedi, les pays venaient enfin d'aborder le sujet le plus explosif de la conférence: comment atteindre d'ici 2030 l'objectif de porter à 200 milliards de dollars par an les dépenses mondiales pour sauver la nature, dont trente milliards d'aides des pays riches.
La Suisse ne s'est pas distinguée
Les organisations écologistes suisses jugent les résultats de la COP16 totalement insuffisants. Dans un communiqué commun, BirdLife, Pro Natura et le WWF estiment que la Suisse n'a pas apporté sa pierre à l’édifice. Elle n'a pas présenté un plan d'action national pour sa diversité biologique et n'a pas fourni une contribution financière "appropriée" pour la biodiversité mondiale.
Dans une prise de position envoyée à Keystone-ATS, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) reconnaît que la question financement reste très controversée au sein des Etats signataires de la Convention. Le nouveau fonds demandé par les pays en développement est rejeté, car la Banque Mondiale finance déjà des projets via son Fonds pour l'environnement mondial. L'OFEV estime toutefois que des avancées ont été réalisées.
afp/sjaq
Un fonds sur le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques
Les 196 nations de la COP16 biodiversité ont adopté samedi à Cali, en Colombie, la mise en œuvre d'un fonds multilatéral censé être abondé par les entreprises faisant des bénéfices grâce au génome numérisé de plantes (comme l'arôme de vanille) ou d'animaux issus des pays en développement.
Baptisé "Fonds Cali", ce mécanisme financier permettra de lever des milliards de dollars, destinés à financer les engagements de protection de la Nature. Mais le montant réellement collecté, principalement via des contributions volontaires, reste incertain.
Le partage équitable des bénéfices issus des "informations de séquençage numérique sur les ressources génétiques" (DSI en anglais) est un serpent de mer des COP sur la biodiversité.
Ces données, issues souvent d'espèces présentes dans les pays pauvres, sont utilisées dans la fabrication de médicaments ou de cosmétiques, entre autres, qui peuvent rapporter des milliards. Mais peu de bénéfices tirés de ces données génétiques – téléchargées dans des bases de données en libre accès – reviennent aux communautés d'origine.
Un montant indicatif de 0,1% des revenus ou de 1% des bénéfices est suggéré par le texte. Placé sous l'égide de l'ONU, le fonds répartira l'argent récolté, moitié pour les pays, moitié pour les peuples autochtones.
La COP15 biodiversité en 2022 avait acté la création de ce fonds réclamé de longue date, mais son fonctionnement restait à déterminer.
Les peuples autochtones obtiennent un statut renforcé dans les COP biodiversité
Les pays réunis à la COP16 biodiversité en Colombie ont adopté en plénière la création d'un groupe permanent – un "organe subsidiaire" dans le jargon – destiné à assurer la représentation des peuples autochtones et des communautés locales au sein de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB).
Représentantes et représentants de ces peuples, portant des vêtements et des coiffes traditionnelles, ont multiplié les acclamations et les chants de joie au fur et à mesure de l'adoption de plusieurs textes sur ce sujet.
>> Lire : Hôte de la COP16, la Colombie subit de plein fouet la chute de la biodiversité
"C'est un moment sans précédent dans l'histoire des accords multilatéraux sur l'environnement", s'est réjouie Camila Romero, une représentante des peuples Quechuas du Chili. Les 196 pays membres de la CDB "ont reconnu le besoin constant de notre participation pleine et effective, de nos connaissances et innovations, de notre technologie et de nos pratiques traditionnelles", a-t-elle ajouté.
La Russie et l'Indonésie avaient bloqué jeudi l'adoption de ce texte très attendu au terme du sommet, qui se tient dans l'un des neufs pays qui couvrent l'Amazonie.