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"Le déclin de la biodiversité est supérieur à toutes les trajectoires qu'on a pu voir dans le passé"

Geopolitis
Biodiversité, alerte rouge / Geopolitis / 26 min. / le 17 mars 2024
Quelque 70% des populations de vertébrés sauvages ont disparu en 50 ans. Cette hécatombe est révélatrice de la pression qu’exerce l’humanité sur la nature et les écosystèmes.

Un million d’espèces sont menacées d’extinction dans le monde. Le rythme est 100 à 1000 fois supérieur au taux naturel de disparition: il est question d’une sixième extinction de masse des espèces. "Le déclin est supérieur à toutes les trajectoires qu'on a pu voir dans le passé, y compris lors des extinctions de masse des temps fossiles", confirme dans l’émission Géopolitis Nadir Alvarez, directeur du Naturéum, le musée des sciences naturelles de l'État de Vaud à Lausanne. "En quelques dizaines d'années, on est passé d'un monde relativement diversifié à un monde beaucoup moins diversifié, voire très homogène dans certains endroits".

Estimation de quelques espèces menacées d’extinction selon le WWF et l'IPBES. [RTS - Geopolitis]
Estimation de quelques espèces menacées d’extinction selon le WWF et l'IPBES. [RTS - Geopolitis]

Quelque 75% des milieux terrestres et 60% des écosystèmes marins ont été modifiés par l’être humain. Les principales causes de la perte de biodiversité sont la destruction et la fragmentation des milieux naturels, la surexploitation des espèces sauvages et des ressources naturelles, le changement climatique, la pollution et l’invasion d’espèces exotiques. Cette fragilisation de la biodiversité met en danger les écosystèmes. Elle favorise les contacts entre espèces sauvages et êtres humains, et donc, aussi le passage à l'homme de maladies d'origine animale. Ces zoonoses sont en augmentation depuis un demi-siècle.

Mobilisation internationale

Le déclin de la biodiversité est devenu source d’enjeux géopolitiques et l’objet d’échanges diplomatiques notamment à travers les COP, les Conférences des parties pour la biodiversité, moins connues que celles sur le climat. La dernière, à Montréal, a débouché sur un accord dit de Kunming-Montréal en 2022. Traité ambitieux pour les uns, insuffisant pour les autres. "Même si ces progrès sont timides et sont beaucoup plus lents que ne l’est l'érosion du vivant, je pense qu'il faut passer par là. Nos sociétés sont faites ainsi et la psychologie humaine aussi est faite de ce temps un peu plus long", estime Nadir Alvarez.

>> Pour aller plus loin : Un accord historique sur la biodiversité a été approuvé à la COP15

L’accord contient plusieurs cibles à atteindre d’ici 2030: l’établissement de réseaux d’aires protégées couvrant 30% des terres et 30% des mers. Par ailleurs, au moins 30% des écosystèmes dégradés devront être restaurés. Le compromis a également abouti à un objectif de réduction de moitié du risque global lié aux pesticides et aux produits chimiques dangereux. Enfin, les ressources financières dédiées à la diversité du vivant ont été fixées à au moins 200 milliards de dollars par an d’ici 2030. Les subventions jugées néfastes pour la nature devraient être réduites de 500 milliards de dollars par an.

De nombreuses associations et organisations regrettent le manque d’un mécanisme contraignant et dénoncent un texte sujet à interprétations. Nadir Alvarez tempère: "Personnellement, je trouve très important que des mots-clés soient prononcés lors de ces COP et ce sont finalement des textes qui vont - même s'ils n’ont pas une nature contraignante nécessairement - quand même un petit peu donner le tempo des politiques nationales. "

Désextinction et réensauvagement

Faire revivre des animaux disparus comme le dodo, le tigre de Tasmanie ou le mammouth: plusieurs équipes de recherche et entreprises dans le monde travaillent à des projets de désextinction d’espèces.

Il existe plusieurs techniques pour y parvenir: la sélection artificielle, c’est-à-dire en croisant des individus et en sélectionnant à chaque génération les caractères les plus typiques de l’espèce éteinte dont les gènes sont encore présents dans la population actuelle. Des essais sont menés avec l’auroch, la vache sauvage à l’origine de tous les bovins domestiqués, disparu au 17e siècle.

La deuxième méthode est le clonage, qui permet d'obtenir des substituts génétiquement plus proches de l'espèce éteinte, mais qui nécessite des tissus correctement conservés et de nombreuses sources pour recréer une population. Une tentative de désextinction par clonage a échoué avec le bouquetin des Pyrénées. Enfin, autre technique: l’ingénierie génétique, méthode plus complexe qui consiste à substituer des gènes caractéristiques de l’espèce éteinte dans le génome d’une espèce proche encore vivante.

Nadir Alvarez, biologiste et généticien qui a consacré avec son collègue Lionel Cavin un livre à ce sujet en 2022, exprime quelques doutes quant à ces animaux recréés par modification génétique: "Tout ce qui est éteint l’est pour toujours. On ne peut pas réparer une lignée éteinte dans le passé, il y a 100 ans, il y a 1000 ans, par une prouesse technologique". Avant d’ajouter que "ces espèces déséteintes ne seront rien d'autre que des chimères entre un génome provenant essentiellement de l'espèce la plus proche encore existante et puis quelques ajouts par-ci par-là de gènes de l'espèce disparue".

Surtout que les prouesses de laboratoire ne suffisent pas à régler la question de la viabilité de ces animaux, qui dépend surtout de leur habitat. "Si on déséteignait un jour un mammouth, évidemment, on ne devrait pas le laisser dans un zoo. Il faudrait une énorme surface, un énorme territoire pour que cet animal puisse se déployer. En ce sens-là, ce mammouth – ou toute espèce disparue – permettrait de protéger un habitat beaucoup plus vaste par la même occasion", explique Nadir Alvarez.

Beaucoup d'interrogations

Toute une approche scientifique allant en ce sens s'est développée ces dernières années. Elle prône "le réensauvagement" de notre environnement, avec la réintroduction d'espèces dans des milieux où la nature aurait repris ses droits. Une démarche qui n’est pas sans poser des questions: et si ces organismes introduits apportaient des maladies pour la faune locale? Quelle cohabitation avec l’humain et son bétail? Ne devrait-on pas plutôt partager la Terre en deux, une partie ensauvagée et une autre jardinée par les humains?

"Mon opinion, c’est que nous devons beaucoup plus intégrer la nature au quotidien dans nos villes, nos maisons, notre environnement direct. Le pacte avec la nature, c’est peut-être de faire vivre cette biophilie qui est en nous", conclut Nadir Alvarez.

Natalie Bougeard

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