Le rapport Meadows de 1972, l’occasion manquée de freiner le changement climatique
Vagues de chaleur à répétition, tempêtes et inondations toujours plus intenses, fonte rapide des glaciers et de la banquise, élévation du niveau des océans, sans oublier les millions d'hectares de forêts détruits par des incendies: les effets du changement climatique sont bien là. Il devient donc urgent d'agir, avertissent les scientifiques, en mettant tout en œuvre pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris.
C'est d'ailleurs sur ce constat que s'est ouverte lundi à Bakou, en Azerbaïdjan, la 29ème conférence de l'ONU sur le climat (COP29).
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Un rapport traduit en une trentaine de langues
L'alerte avait pourtant été donnée il y a 50 ans déjà. En 1972, quatre jeunes scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont rédigé à la demande du Club de Rome - un cercle basé à Zurich réunissant des chercheurs, des scientifiques, des économistes et des industriels soucieux des crises menaçant la planète - le rapport Meadows, du nom de ses principaux auteurs, les écologues Donella Meadows et Dennis Meadows .
Il faut trouver l'équilibre entre population, production, ressources et espace disponible, sinon les prochaines générations devront payer le prix de notre imprévoyance et notre égoïsme
Intitulé en français "Les limites à la croissance", ce document tiré à plusieurs millions d'exemplaires et traduit dans une trentaine de langues constitue un premier signal d'alarme sur les conséquences dramatiques d’une croissance économique et démographique exponentielle dans un monde fini, parmi lesquelles la crise climatique actuelle.
Pour ses auteurs, la conclusion du rapport qui s’articule autour de cinq variables - la population, la production industrielle, la production agricole, les ressources naturelles et la pollution - est claire: dévorée par sa soif de croissance, l'humanité court à sa perte.
"Il faut trouver l'équilibre entre population, production, ressources et espace disponible, sinon les prochaines générations devront payer le prix de notre imprévoyance et notre égoïsme", expliquait en 1973 à la télévision française l'un des fondateurs et premier président du Club de Rome, Aurelio Peccei.
Avec ce rapport, "nous avons donné la clé du labyrinthe aux gens pour qu'ils voient eux-mêmes ce qu'il peut se passer si on continue les tendances actuelles", avait-il alerté la même année lors d'une interview sur les ondes de la Radio Suisse Romande.
Le choc pétrolier de 1973
Si le rapport a pu avoir un certain écho à l'époque, les avertissements qu'il contient ont été ignorés dans les années qui suivent. Comme le relève The Conversation, la raison principale à ce rejet est la conjoncture économique des années 1970 qui va amener le monde académique et politique à se concentrer sur des objectifs stratégiques liés à la performance économique, plutôt qu'au développement durable.
À cette époque, la véritable problématique n'est en effet pas la pollution ou les risques d'effondrement, mais la détérioration inquiétante de la situation économique. Le choc pétrolier de 1973 et la crise économique qui en découle relèguent ainsi au second plan les analyses du rapport Meadows.
En parallèle, l'idée du consommateur achetant uniquement ce dont il a besoin est révolue. Dorénavant, on veut lui donner envie d'acheter, et pas seulement le nécessaire. Les centres commerciaux poussent comme des champignons. La société de consommation est née, avec l'illusion d'un monde constitué de ressources illimitées.
Les politiciens et intellectuels sceptiques
Autre raison de son manque de retentissement: le pessimisme de l'avenir tel que le dépeint le rapport Meadows ne convainc de loin pas tout le monde à l'époque. Parmi les sceptiques, on retrouve des personnalités politiques, comme le ministre de l'Economie français de l'époque Valéry Giscard d'Estaing, qui se dit "pas partisan de ce genre de théories"; mais aussi de nombreux intellectuels, dont le prix Nobel d'économie de 1974 Friedrich Hayek.
"L'immense publicité donnée récemment par les médias à un rapport qui se prononçait au nom de la science sur les limites de la croissance, et le silence de ces mêmes médias sur la critique dévastatrice que ce rapport a reçu de la part des experts compétents, doivent forcément inspirer une certaine appréhension quant à l’exploitation dont le prestige de la science peut être l’objet", déclare ce chantre de l'économie libérale dans son discours de réception du prix Nobel.
Il n'y a pas de limite à la croissance, car il n'y a pas de limite à l'intelligence humaine, à son imagination et à ses prodiges
Onze ans plus tard, en 1983, le président américain républicain Ronald Reagan déclare même, toujours en réaction au rapport Meadows: "Il n'y a pas de limite à la croissance, car il n'y a pas de limite à l'intelligence humaine, à son imagination et à ses prodiges."
Pourtant, 50 ans plus tard, l'actualité climatique leur donne tort. Comme ne cesse notamment de marteler le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans ses rapports - dont le dernier en 2023 rappelle que les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines ont réchauffé le climat à un rythme sans précédent - il n'y a désormais plus aucune place au doute.
Fabien Grenon
"Cabanes" d’Abel Quentin: une fiction basée sur le Rapport Meadows pour alerter sur l'urgence écologique
Invité de La Matinale, Abel Quentin, avocat et romancier, a écrit un roman intitulé "Cabanes", inspiré du rapport Meadows de 1972. Publié par le Club de Rome - qui anticipait déjà à l'époque la crise écologique actuelle - ce document aurait pu freiner le changement climatique à l'époque, mais n'a pas su mobiliser durablement les consciences. Il constitue le point de départ de l'histoire.
En ce sens, le livre d'Abel Quentin, où la fiction rejoint la réalité, semble parfaitement d'actualité alors que s'est ouverte lundi la COP29 en Azerbaïdjan.
Il met en scène quatre scientifiques confrontés aux prédictions d'effondrement liées à la surpopulation et la surconsommation des ressources. A travers eux, le roman explore diverses réactions humaines face à la crise climatique annoncée: engagement militant, carrière compromise, résignation amère.
Abel Quentin critique aussi le décalage entre les alertes scientifiques et l'inaction politique. Selon lui, ce pessimisme réaliste - la pierre angulaire de son roman car "l'optimisme sur ces sujets-là aurait été forcé" - n’est pas synonyme de fatalisme mais d’un appel à agir.