La RTS et la Fédération romande des consommateurs (FRC) ont sollicité l'ensemble des communes romandes pour connaître l'exposition de l'eau potable aux micropolluants.
Les données récoltées ont permis d'identifier 31 communes dans lesquelles l'eau du robinet dépassait la norme de 0,1 microgramme par litre pour un résidu du fongicide chlorothalonil. Il s'agit pour l'essentiel de communes vaudoises et fribourgeoises, notamment les villes d'Yverdon-les-Bains, Payerne ou Estavayer et une bonne partie de la rive sud du lac de Neuchâtel.
Ce résultat n'est toutefois pas exhaustif. Car les communes qui n'ont pas fourni d'informations et qui dépasseraient aussi ce taux ne figurent pas sur notre carte. Aucune liste actuelle synthétisant toutes les données d'un même canton n'est en effet disponible auprès des services cantonaux, ces derniers étant tenus au devoir de discrétion. Les informations sur la qualité de l'eau ne peuvent donc être obtenues qu'auprès des communes concernées, qui ne contrôlent pas toutes les mêmes substances et communiquent leurs résultats de manières parfois très différentes, certaines sous une forme très détaillée, d'autres plus évasives.
L'eau reste consommable
Interpellées, les 31 communes concernées insistent pour rappeler que l'eau reste consommable, malgré ces dépassements. "On peut boire cette eau sans risque pour la santé", confirme Patrick Edder, chimiste cantonal genevois, invité mardi dans l'émission "On en parle". "De manière générale, pour les résidus de pesticides, on a mis des valeurs qui ne sont pas des valeurs toxicologiques, mais les valeurs les plus basses possibles, parce qu'on n'en veut pas dans notre environnement, tout simplement. Si on devait mettre des valeurs toxicologiques, dans certains cas, on accepterait des concentrations bien plus élevées."
On a l'impression qu'il y a une sorte de loi du silence, que les communes sont embêtées, alors que c'est un droit, pour chaque citoyen et chaque citoyenne, de connaître la qualité de l'eau
Mais le chlorothalonil n'est pas la seule substance retrouvée fréquemment dans le réseau par les distributeurs d'eau. Le TFA, acide trifluoroacétique, est également très présent et en quantité assez importante dans l'eau du robinet des Romands. Le risque toxicologique de ce PFAS, un polluant éternel, est actuellement évalué par différentes instances. "C'est une molécule qu'on doit surveiller. Il y a une incertitude", indique Patrick Edder.
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D'autres substances, comme la chloridazone, l'atrazine, l'iomeprol ou la metformine, un antidiabétique, reviennent à plusieurs reprises dans les relevés. "Ce sont des médicaments, donc ce n'est pas forcément lié à l'agriculture. C'est lié à notre mode de vie", rappelle Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l'Université de Lausanne. "Rien que la crème solaire, par exemple, on va en retrouver dans le lac. Parce qu'on la met sur la peau, on se lave ensuite et ça finit dans l'eau. Donc, je dirais: vraiment essayer d'utiliser les substances les plus naturelles possibles et limiter aussi l'usage", conseille-t-elle.
Défaut d'information sur la qualité de l'eau
Le volet de l'enquête mené par "A Bon Entendeur" révèle aussi de fortes lacunes dans l'accès à l'information. Sur les plus de 600 communes contactées, soit l'ensemble des communes romandes, 60% n'ont transmis aucune information relative à la présence ou non de micropolluants dans leur eau. "Ça choque et ça heurte", commente Michel Matter, médecin qui fut membre du comité de l'initiative "Pour une eau potable propre". "On a l'impression qu'il y a une sorte de loi du silence, que les communes sont embêtées, alors que c'est un droit, pour chaque citoyen et chaque citoyenne, de connaître la qualité de l'eau."
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La qualité de l'information dépend-elle de la taille des communes et des moyens dont elles disposent? Ce n'est pas l'avis de Rebecca Eggenberger, responsable alimentation à la FRC: "On a cherché à savoir s'il y avait un dénominateur commun entre ces distributeurs qui sont capables de donner cette information. On n'en a pas trouvé. Il y a des grandes villes et des petits villages de 1200 habitants qui donnent vraiment une information fiable et qui expliquent même des dépassements."
Texte web : Philippe Girard, François Egger, Maeva Liebling, Méribé Estermann, Linda Bourget
Sujet radio : Bastien von Wyss, Mathieu Truffer, Isabelle Fiaux
Sujet TV: François Egger, Maeva Liebling, Méribé Estermann, Linda Bourget
Le chlorothalonil, enfer des campagnes
Aujourd'hui interdit en Suisse, le chlorothalonil, un fongicide produit par Syngenta et considéré comme un cancérigène probable, fut largement utilisé dans la culture des céréales, des légumes, des pommes de terre ou de la vigne jusqu'à fin 2019. Ainsi, dans le Gros de Vaud, la commune de Montanaire (qui regroupe notamment les villages de Thierrens, Chapelle et St-Cierges), enregistre un niveau de résidus de chlorothalonil 15 fois supérieur à la valeur limite autorisée.
"De 1980 à 2015, personne ne s'inquiétait de ce problème. Depuis que la norme a été abaissée à son niveau actuel, on s'aperçoit qu'en très peu de temps, ça peut inquiéter du monde", observe Michel Rosset, municipal de la commune à la tête du dicastère de l'eau. "Je ne pense pas personnellement que ce problème soit dangereux. C'est mon avis, je crois qu'il faut que chacun ait son avis." La commune n'en est pas moins contrainte de se plier aux normes imposées par la Confédération dans le sillage de l'interdiction du chlorothalonil.
L'assainissement du réseau dont fait partie Montanaire est estimé à 23 millions de francs et l'exercice sera sensible pour les habitants de la commune, qui verront le prix de leur eau grimper de 50 centimes à 1,50 franc par mètre cube. "Le citoyen, la citoyenne, paie pour une eau qui n'est pas vraiment pure, et en même temps s'il y a de l'innovation, si on doit filtrer, il doit payer plus cher, c'est inadmissible", estime Michel Matter. Pour le Vert'libéral, c'est in fine Syngenta qui devrait payer la facture, selon la logique du pollueur-payeur.
Si la présence de métabolites de chlorothalonil est largement documentée sur le plateau, les traces d'un autre produit phytosanitaire occupent certaines collectivités: le métolachlore, un désherbant catégorisé comme cancérigène probable également interdit aujourd'hui. A Vully-les-Lacs, entre les lacs de Morat et de Neuchâtel, la source de la Noirette qui alimentait le réseau d'eau potable a carrément dû être fermée il y a deux ans. En cause: une teneur en résidus de métolachlore quatre fois supérieure aux valeurs maximales. Une pollution que les responsables de la commune ne s'expliquent pas: "Ce n'est pas une zone dans laquelle on fait des cultures particulières", s'interroge Thierry Bovet, le fontainier du village. "On n'a pas non plus d'historique de décharge ou autre qui pourrait influencer la nappe phréatique ou les eaux de surface."
Également contaminée par les métabolites de chlorothalonil, Vully-les-Lacs a investi près de 10 millions de francs pour moderniser son réseau d'eau et construire une nouvelle station de pompage.