La Commission européenne doit se prononcer mercredi sur le renouvellement de la licence d'utilisation du glyphosate, mais l'herbicide est au coeur d'une bataille acharnée dans l'UE.
Les Européens réclamant son interdiction sont de plus en plus nombreux. Plusieurs pays membres -la France, l'Italie et l'Autriche- ont fait part de leur opposition à une licence de dix ans. Et mardi, le Parlement européen a fait savoir qu'il était favorable à une interdiction du glyphosate d'ici cinq ans.
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- Le glyphosate, qu'est-ce que c'est?
A ses débuts en 1964, le glyphosate est vendu comme détergent dans les installations chimiques, la molécule étant un "chélateur de métaux" - c'est-à-dire capable d'absorber tous les métaux avec lesquels elle entre en contact.
Monsanto découvre ses propriétés herbicides quelques années plus tard. En 1974, la firme américaine est la première à le breveter et le mettre sur le marché en tant que désherbant non sélectif, sous le nom de Roundup.
Tombée dans le domaine public en l'an 2000, la molécule entre dans la composition de plus de 700 produits commercialisés par une centaine de sociétés, dans plus de 130 pays.
- Est-il beaucoup utilisé?
Le glyphosate est le pesticide le plus répandu de la planète. Son utilisation a été multipliée par 17 en 40 ans, passant de 3200 tonnes en 1974 à environ 800'000 tonnes l'an passé. Il est moins utilisé en Suisse (230 tonnes en 2016) car il n'est permis de le pulvériser dans les champs qu'avant de semer, et pas sur les plantes germées.
Reste que le glyphosate est un produit fréquemment détecté dans l'environnement et dans nos organismes. Le magazine de la RTS A Bon entendeur a trouvé des traces de glyphosate dans les urines de 37,5% des Suisses et constaté que l'on en trouvait aussi - en quantités infimes - dans bon nombre de produits de consommation courante.
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- Quels sont les arguments des anti-glyphosate?
Les parties réclamant l'interdiction du glyphosate sont convaincues de sa toxicité pour l'homme et l'environnement, et justifient leur requête par le principe de précaution. Elles accusent en particulier cette substance d'être un agent cancérogène et un perturbateur endocrinien.
Un procès symbolique du Roundup, le Tribunal Monsanto, s'est tenu il y a un an devant des juges renommés à La Haye. De nombreux scientifiques et témoins s'estimant victimes du glyphosate ont défilé à la barre de ce tribunal informel.
Parmi eux, un couple français qui tient le glyphosate pour responsable des malformations congénitales de son fils et a porté plainte; un éleveur danois qui dénonce l'augmentation des maladies génétiques chez ses porcs; ou encore des riziculteurs srilankais frappés par une épidémie d'affections rénales (le Sri Lanka est depuis devenu le premier Etat au monde à interdire le glyphosate).
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- Que dit la littérature scientifique?
La question de la cancérogénicité du glyphosate n'est toujours pas tranchée et fait l'objet d'une controverse scientifique qui dure depuis des années, sur fond de lobbying intense et de soupçons de conflits d'intérêts.
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Les instances de régulation européennes, l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l'EFSA, l'Agence européenne de sécurité des aliments, ne classent pas le glyphosate parmi les agents cancérogènes.
D'ailleurs, une seule étude aboutit à la conclusion inverse, mais sa portée est grande: il s'agit de celle du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), rattaché à l'Organisation mondiale de la santé, qui a fait grand bruit à sa publication en 2015. Le CIRC juge le glyphosate génotoxique, cancérogène pour l’animal et "cancérogène probable" pour l’homme.
Si l'EFSA reproche au CIRC de ne pas avoir pris en compte certaines études, des ONG et des scientifiques affirment de leur côté que l'EFSA base ses conclusions sur des données fournies par les industriels.
Récemment, des articles de presse ont jeté le discrédit sur les travaux scientifiques qui blanchissent le glyphosate. Dans une enquête sur les "Monsanto papers", Le Monde accuse Monsanto d'avoir eu recours au "ghostwriting": les employés de l'entreprise auraient rédigé eux-mêmes des études avant de les faire signer par des scientifiques.
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En septembre, les quotidiens italien La Stampa et britannique The Guardian ont pour leur part écrit qu'une partie cruciale du rapport de l'EFSA sur le glyphosate était une copie de la demande de ré-autorisation déposée par Monsanto.
>> Lire : Une agence européenne copie un rapport de Monsanto sur le glyphosate
- Quels sont les enjeux économiques?
Le modèle économique de Monsanto repose sur le glyphosate: les ventes de Roundup, associées aux semences OGM capables de le supporter, représentent 10 milliards de dollars de son chiffre d'affaires annuel, soit 70%. Une mesure de restriction ou d’interdiction du produit serait donc une grosse déconvenue pour la multinationale, même si l'UE est loin d'être son seul marché.
Selon l'émission de la RTS Toutes Taxes comprises, les répercussions pourraient aussi être énormes sur le monde agricole européen: l'impact est estimé à près de 1 milliard de dollars. Une étude britannique estime que la production de blé s'en trouverait réduite de 20% et que le prix de certaines céréales grimperait.
- Existe-t-il des alternatives au glyphosate?
Actuellement, il existe très peu d'alternatives au glyphosate et beaucoup d'agriculteurs estiment ne pas pouvoir s'en passer à court terme. Leurs fédérations européennes ont demandé à l'UE de renouveler l'autorisation d'utilisation de l'herbicide.
Les paysans sont toutefois de plus en plus nombreux à chercher des méthodes qui leur permettraient de renoncer, au moins partiellement, à cette substance. L'an passé, des agronomes bernois ont affirmé avoir trouvé un moyen de combattre les mauvaises herbes sans désherbant chimique, en recourant aux engrais verts, au semis direct (c'est à dire sans labourer) et à une palette de techniques telles que les couverts végétaux.
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Pauline Turuban