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Comportement, aspect et ADN, les mutations de la faune urbaine

Des macaques se régalent des restes d'un marché à Lopburi en Thaïlande. (image d'illustration) [AFP - Franck Guiziou]
"Darwin Comes to Town", quand les animaux s’adaptent à la ville / Tout un monde / 5 min. / le 24 août 2018
Rat des villes, rat des champs, disait la fable. Cette distinction pourrait s'appliquer à de nombreuses espèces, qui se sont adaptées aux zones urbaines au point de modifier leur ADN, souligne l'ouvrage d'un chercheur néerlandais.

On les appelle parfois "les invisibles", alors qu'ils sont de plus en plus nombreux. Les animaux se sont non seulement installés en zone urbaine, ils s'y sont aussi adaptés. C'est le constat de Menno Schilthuizen, professeur de biologie de l'évolution à l'Université de Leiden aux Pays-Bas, interrogé dans l'émission Tout un monde de la RTS vendredi.

Dans son ouvrage paru en avril, "Darwin Comes to Town", il note que certains animaux subissent même des modifications génétiques capables d'altérer leur apparence, leur physiologie ou leur comportement.

Au chapitre du comportement, des moineaux et bouvreuils observés au Mexique ont ainsi construit leur nid à l'aide de mégots de cigarettes trouvés en ville. Les scientifiques ont remarqué que les oiseaux privilégient dans la construction de leur nid des végétaux contenant des substances anti-parasitaires. Or, ces plantes - qui ne se trouvent pas forcément en ville - ont des propriétés similaires à celle de la nicotine. On peut dès lors spéculer que les moineaux mexicains ont remplacé un anti-mites... par un autre.

Pattes de "yamakasi" et ailes de course

D'autres animaux ont modifié leur aspect, jusque dans leur patrimoine génétique. Anolis pulchellus, un lézard portoricain essentiellement urbain, a par exemple modifié sa physiologie. Comparé à son frère qui vit dans la forêt tropicale, ce lézard des villes a développé des pattes plus longues, équipées de lamelles plus nombreuses. De quoi se déplacer plus vite sur les surfaces bétonnées, qui présentent moins d'aspérités que l'écorce des arbres.

Autre exemple, l'hirondelle à front blanc, Petrochelidon pyrrhonota, diminue la longueur de ses ailes lorsqu'elle vit en ville - une perte de 2 millimètres tous les dix ans en moyenne. Des ailes plus courtes permettraient de décoller du sol plus rapidement et de bifurquer plus aisément en cours de vol dans un espace peu dégagé, avancent les biologistes Mary et Charles Brown, dont les études sont regroupées dans "Darwin Comes to Town".

Leur hypothèse est vérifiée par le taux de mortalité. Les biologistes ont en effet constaté que les hirondelles aux ailes plus longues étaient plus souvent tuées par des voitures ou des camions. Les survivantes aux ailes plus courtes se sont progressivement imposées dans le patrimoine génétique, et plus les ailes ont raccourci, plus le taux de mortalité a baissé.

Le merle noir, mutant ultime

Ces petites modifications décisives sont nombreuses. Mais pour Menno Schilthuizen, le champion absolu de l'adaptation est le merle noir. Turdus merula s'est installé dans les villes il y a plus de 200 ans et a procédé à toute une série de changements par rapport au merle noir resté en forêt.

"Ils ont changé leur manière de chanter, l'heure à laquelle ils chantent, leur comportement migratoire, la largeur de leur bec, leurs intestins, leur comportement, leur sensibilité au stress. Le merle noir urbain est en bonne voie pour devenir une espèce à part", affirme le chercheur.

Certains animaux - avec leurs modifications génétiques - sont transportés par l'humain d'une ville à l'autre. Dans ces cas-là, les évolutions observées dans les différents lieux géographiques sont les mêmes. Mais pour les populations animales sans contact les unes avec les autres, il faudrait plutôt parler d'évolutions parallèles.

A chaque ville son microcosme

"On peut prendre l'exemple d'un poisson sur la côte est des Etats-Unis, qui est devenu tolérant au PCB  (produit toxique qui entrait dans la composition de nombreuses machines, ndlr.) dans les ports de différentes villes", illustre Menno Schilthuizen. "Mais dans chaque ville, cette évolution s'est faite de manière différente. Tous les poissons se sont débarrassé des protéines sensibles au PCB mais, si on observe leur ADN, de manière différente."

Si l'effet est le même, le processus évolutif, lui, diffère. Chaque zone urbaine est un microcosme - avec sa propre interaction ville-animaux. Le trafic, la pollution, les lumières, les températures, le salage des routes, les matériaux de construction, ou encore le type d'alimentation des habitants, leurs jardins, leurs activités, l'architecture, créent une forme d'alchimie propre à chaque ville, avec les modifications qui en découlent.

L'adaptation de ces animaux aux villes ne permet néanmoins pas de conclure que les animaux survivent magnifiquement au développement des surfaces urbaines, avertissent les chercheurs. "Ce que l'on voit, c'est ce qui reste après le processus de sélection. Beaucoup d'espèces ne sont pas capables de survivre ni de s'adapter. Et ces espèces disparaissent", souligne Menno Schilthuizen.

Katja Schaer/kkub

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