La consommation quotidienne de cannabis, en particulier de cannabis à forte teneur en THC (au-delà de 10% de tétrahydrocannabinol, principe actif responsable des effets sur la conscience), est fortement liée au risque de développer une psychose, selon une étude publiée mercredi dans la revue The Lancet Psychiatry.
Les chercheurs du King's College de Londres ont mené leur étude dans 11 villes européennes, dont Paris, Londres, Amsterdam et Barcelone et une ville brésilienne. Il en ressort que le lien avec la psychose est plus fort à Londres et à Amsterdam, où le cannabis à fort teneur en THC est plus facilement disponible.
"La psychose est un état où sont présentes des hallucinations ou des illusions, donc des troubles de la perception, des troubles de la pensée ou des idées de délires", explique mercredi à la RTS Daniele Zullino, chef du Service d'addictologie du département de santé mentale et psychiatrie des HUG.
En principe sous l'effet du cannabis, tout le monde est psychotique. "C'est même l'un des effets recherchés", développe-t-il. Mais le problème de psychose poussant à la consultation, comme mentionnée dans l'étude, survient lorsque l'on consomme régulièrement et que ces symptômes sont chroniques, sur plusieurs jours ou plusieurs semaines.
12% des cas pourraient être évités
Selon l'étude britannique, un nouveau cas de psychose sur cinq (20,4%) serait lié à une consommation quotidienne de cannabis et un sur dix (12,2%) à une consommation de cannabis à haut taux de THC.
En d'autres termes, quelque 12% des épisodes de psychose pourraient être évités en Europe si le cannabis à forte teneur en THC n'était plus disponible. L'incidence de la psychose à Amsterdam tomberait de 37,9 à 18,8 pour 100'000 habitants par an, et à Londres de 45,7 à 31,9, avancent les chercheurs, en supposant un lien de causalité.
Plus fort en THC dans les pays du nord
La teneur en THC varie fortement d'un pays à l'autre. Aux Pays-Bas, du cannabis pouvant atteindre 22% de THC avec la "Nederwiet" ou même 67% dans le cas de la "Dutch". A Londres, le cannabis similaire à la "skunk", qui contient un THC moyen de 14%, représente 94% du cannabis disponible sur le marché noir.
A l'inverse, le cannabis contenant moins de 10% de THC est encore largement consommé en France, en Italie ou en Espagne.
Le taux de THC en Suisse se situe en moyenne entre 12 et 15%, se rapprochant du marché londonien.
L'importance de la régulation
Selon l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, le taux de THC a augmenté de manière significative en Europe depuis une décennie. Une augmentation que confirme Daniele Zullino, qui précise qu'en parallèle, le cannabis a vu une diminution du taux de CBD, l'autre substance contenue dans le fameux cannabis légal. Or, ce dernier a un effet anti-psychotique, qui contre-balance l'effet psychogène du THC.
Donc plus les taux de THC grimpent, plus les risques de psychose montent en flèche. "Ce qui est intéressant avec cette étude est la discussion qu'elle va déclencher, à savoir comment faire baisser les taux moyens de THC dans le cannabis", estime le chef du Service d'addictologie aux HUG.
Selon lui, il suffirait de réguler le taux de THC pour gérer ou maintenir l'apparition de psychose. "Si on avait un marché régulé, comme avec l'alcool, on pourrait définir des taux de THC acceptables et un taux de CBD nécessaire pour contrôler l'apparition de symptômes psychotiques".
L'exemple du marché de l'alcool
Un marché de l'alcool totalement libre, estime Daniele Zullino, conduirait naturellement à des productions d'alcool avoisinant les 60%. "Avec notre réglementation en Suisse, on est à 40-45%".
Ce qui se fait pour l'alcool serait-il transposable au cannabis? A cette question, tous les spécialistes de la santé que nous avons interrogés sont unanimes. Il faut donner un cadre aux produits sur le marché.
"Les personnes ne sont pas au courant des risques"
"On a affaire à des produits qui sont dangereux, qui comportent des risques, surtout quand ils sont beaucoup trop forts, et surtout quand les consommateurs ne savent pas ce qu’ils ont en face d’eux", souligne le secrétaire général du Groupe romand d'études sur les addictions (GREA) Jean-Félix Savary dans le 19h30.
"On ne va pas dire que (légaliser), c’est la solution. Aujourd’hui, on est face à des risques qui peuvent être très graves, et les personnes ne sont pas au courant de ces risques. Donc ce que nous devons faire en matière de santé publique, c’est de pouvoir réguler un peu ces risques pour les abaisser autant que possible."
Aurélie Coulon et Feriel Mestiri
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