Dans un premier livre paru en 2017, "Ceci est mon sang - Petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font" (Editions La Découverte) et qui vient d'être édité en poche, Elise Thiébaut parle du tabou des règles comme d'une "injustice hormonale" faite aux femmes.
Ce par quoi on est désignée femme est ensuite l'objet d'une honte.
"Il s'agit plus d'une injustice sociale que d'une injustice hormonale", précise-t-elle lundi dans La Matinale de la RTS. "Essayez de vous figurer ce que cela représente que d'être désignée comme femme précisément le jour où l'on a ses premières règles", dit-elle.
"Ce par quoi on est désignée femme est ensuite malheureusement l'objet d'une honte, de quelque chose que l'on doit cacher, de quelque chose qui est considéré comme sale, comme inconvenant, dont il ne faut jamais parler", poursuit la journaliste et féministe. "Et moi, je me suis dit que c'était peut-être effectivement au cœur de cette infériorité ou ce sentiment d'infériorité que ressentaient les femmes que d'être désignées précisément par quelque chose qui est supposé leur faire honte. Cela n'aide pas à l'estime de soi, ni l'idée que nous pourrions être les égales des hommes."
Elise Thiébaut va même jusqu'à estimer que ce tabou est responsable du droit de vote tardif accordé aux femmes ou à leur faible représentativité dans les postes à responsabilité.
Incapables de prendre des décisions rationnelles parce qu'otages de leurs hormones.
"Le tabou des règles a permis de stigmatiser les femmes", souligne-t-elle. "On leur interdisait d'accéder aux cercles de pouvoir en disant qu'elles étaient incapables de prendre des décisions rationnelles parce qu'elles étaient les otages de leurs hormones. C'est un argument qui est encore très souvent invoqué, par exemple quand une femme s'exprime avec un petit peu de vigueur, quand elle fait preuve de mauvaise humeur ou quand elle exprime un désaccord. Il n'est pas rare qu'on lui dise: qu'est-ce que tu as, tu n'aurais pas tes ragnagnas, tes règles?"
Et ce phénomène a un double effet, aux yeux de l'auteure. Le premier est que cela décrédibilise les femmes: "Leur voix, leur parole, est considérée comme n'ayant pas de valeur parce qu'elles sont victimes de leurs émotions." Le deuxième est qu'on associe systématiquement la question des règles à un phénomène négatif, "et cela a des implications pour la vie et la santé qui sont énormes".
Ce mythe de la mauvaise humeur, de l’hystérie féminine qui serait dictée par leurs hormones, est quelque chose qui irrite particulièrement Elise Thiébaut. Mais il tombera probablement, espère-t-elle, quand on en saura davantage sur les hormones.
On ne sait toujours pas soulager une femme qui souffre grandement de ses règles.
"C'est un mythe, parce que les études scientifiques montrent qu'on ne sait pas exactement sur quoi repose la différence entre une femme qui dit qu'elle a envie de se pendre à l'approche de ses règles et une autre qui dit qu'elle se sent très bien." Et même s'il ne s'agit évidemment pas de nier la dimension physiologique "évidente" de ce phénomène, "la façon dont on se représente les choses va changer le rapport qu'on y a", explique l'invitée de l'émission.
"Les études ont montré que plus on est persuadée que le syndrome prémenstruel existe, plus on est portée à le ressentir. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de désagréments liés aux menstruations - ils existent, ils peuvent même être très graves - mais paradoxalement la science et la médecine s'en occupent très peu et on ne sait toujours pas soulager aujourd'hui une femme qui souffre grandement de ses règles."
Pour Elise Thiébaut, parler plus ouvertement de ces questions, écouter les femmes qui disent qu'elles souffrent, les inclure dans les recherches qui les concernent, peut changer de façon importante "cette question de santé publique majeure."
La journaliste est également l'auteure, avec Mirion Malle, de l'ouvrage "Les règles... quelle aventure!" (Editions la ville brûle), destiné plus particulièrement aux adolescentes.
Propos recueillis par Ludovic Rocchi/oang