La généticienne Emmanuelle Ranza accompagne chaque jour des patients atteints d'un cancer, d'un retard de développement ou d'une maladie cardiaque à la recherche d'une explication génétique. Mais depuis quelques années elle reçoit aussi des personnes qui ne rentrent dans aucune de ces catégories.
En pleine santé, elles cherchent à être rassurées après avoir effectué un test ADN commandé en ligne. "Elles souhaitent finalement savoir a posteriori ce qui a été fait et ce qu'on peut en dire", détaille Emmanuelle Ranza.
Mise en garde
Une tendance que constatent également les hôpitaux universitaires de Genève et Lausanne. Aux HUG comme au CHUV, les services de médecine génétique confirment recevoir des demandes pour des tests réalisés hors du circuit médical. Un phénomène en hausse.
Les spécialistes mettent toutefois en garde contre le manque de fiabilité de certains de ces tests. Dans son cabinet, Emmanuelle Ranza a constaté un cas de faux positif : "On a eu une situation où une personne nous a consultés après l'identification pour une prédisposition pour une maladie cardiaque grave et nos analyses n'ont pas confirmé la présence de cette mutation", explique la généticienne.
Autre problème que la médecin pointe du doigt: le manque d'accompagnement. "Les personnes qui font des tests en accès direct n'ont souvent pas bénéficié d'informations précises sur ce qui a été testé, sur les implications familiales, personnelles, sur les limites de l'analyse", détaille-t-elle. Une situation d'autant plus problématique qu'en Suisse cette consultation génétique est obligatoire avant et après un test ADN.
Ces tests vendus directement au consommateur passent entre les mailles du filet, car ils proviennent d'entreprises dont les laboratoires se trouvent à l'étranger, le plus souvent aux Etats-Unis. C'est pourquoi il n'est pas toujours facile de s'assurer de leur fiabilité.
Réduire les coûts de la santé?
Car faits dans les bonnes conditions, les tests génétiques offrent aux médecins des possibilités inespérées. Sur le site de l'EPFL, un laboratoire privé analyse chaque jour des échantillons d'ADN en provenance des cabinets médicaux. Leur palette de tests va de la tolérance au lactose aux prédispositions sportives, mais les plus demandés renseignent sur la réaction à la prise d'un médicament, comme la pilule par exemple.
"On sait que la pilule contraceptive augmente le risque de thrombose, notamment celles de dernières générations, donc on a développé un test qui permet de mesurer ce risque pour chaque femme avec différents types de pilules pour déterminer quelle est la contraception la plus optimale", explique la directrice du laboratoire, Goranka Tanackovic.
Elle voit ainsi dans la génétique un moyen de réduire les coûts de la santé, en ciblant la prescription des médicaments en fonction de la manière dont chaque personne réussit ou pas à les métaboliser. "Un exemple c'est le tamoxifène, qui est utilisé contre le cancer du sein, précise-t-elle. Un certain pourcentage de femmes ne vont jamais pouvoir activer ce médicament et donc si on n'a pas cette information, on va les traiter pendant 10 ans, en pensant qu'on les traite, mais elles ne vont jamais pouvoir en profiter".
Appétit des assureurs
La génétique est aussi dans la ligne de mire des assureurs pour qui les résultats des tests ADN représentent une mine d'or pour améliorer encore l'identification des bons risques. Valérie Bourdin, porte-parole de l’Association Suisse d'Assurances ne s'en cache pas, elle souhaiterait que ces données leur soient accessibles.
"Concrètement, nous sommes favorables au fait que si une personne a fait volontairement un test ADN, et décide de souscrire une assurance vie par exemple, que cette information soit disponible pour l'assureur au même titre que d'autres examens qui sont pratiqués chez le médecin. Pour nous, ils doit y avoir une symétrie dans les informations détenues par les deux parties".
Les assureurs mènent un combat politique pour rendre obligatoire la transmission des analyses génétiques. Une première tentative a été menée sans succès l'an dernier. La commission du National avait pourtant émis une recommandation allant dans le sens de la demande des assurances, mais le Parlement n'avait pas suivi.
Parmi les arguments des opposants, la crainte que des personnes soient refusées par les assurances, ou renoncent à des analyses par peur de l'être. Mais pour les assureurs, le dossier est loin d'être refermé. "Nous referons exactement les mêmes demandes dans 3 ou 5 ans, affirme Valérie Bourdin. On verra, c'est finalement au législateur de prendre la décision".
Céline Brichet