Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont pris en charge trois enfants après qu'ils ont développé une maladie inflammatoire rare qui touche les petites artères. Un seul d'entre eux avait été testé positif au Covid-19.
Mercredi, le délégué pour le Covid-19 de l'Office fédéral de la santé publique, Daniel Koch, a indiqué qu'il s'agit "d'un phénomène de réaction immunitaire après une infection au coronavirus".
Une "tempête inflammatoire"
"Le virus déclenche une tempête inflammatoire qui est une réaction démesurée du système immunitaire", a précisé le médecin cantonal genevois Jacques-André Romand.
Le premier cas constaté aux HUG remonte au 2 avril, a indiqué le porte-parole du Département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (DSES), confirmant une information du Matin et de 20 Minutes en ligne; il a précisé qu'il n'y aurait, pour l'heure, pas d'autres cas en Suisse. Une cinquantaine d'enfants ont été testés positifs au Covid-19 dans le canton.
Des cas de cette maladie semblable à celle de Kawasaki ont été constatés dans plusieurs pays. Certains jeunes patients ont été testés positifs et d'autres négatifs.
La préoccupation est vive, alors que toutes les études ont jusqu'à présent montré que les formes graves du Covid-19 étaient rarissimes chez les plus jeunes.
Angleterre, France, Etats-Unis, Espagne, Belgique
L'alerte est partie ce week-end d'Angleterre, avec un signalement du service public de santé, NHS England. Dans la foulée, un petit nombre de cas similaires a été mentionné en France, aux Etats-Unis, en Espagne ou en Belgique.
Sur l'ensemble des hôpitaux parisiens, cela représente "à peu près une vingtaine d'enfants", indique Damien Bonnet, chef de service de cardiologie pédiatrique à l'hôpital Necker enfants malades. "Selon mes collègues français, il y en a d'autres ailleurs", ajoute-t-il, en soulignant toutefois que leur nombre dans l'absolu "reste limité". Le premier cas a été admis dans son hôpital "il y a trois semaines" et "ça s'est accéléré depuis environ huit jours".
Un constat partagé de l'autre côté de l'Atlantique: "J'ai vu de tels patients hier et aujourd'hui, et mes collègues en voient depuis deux ou trois semaines", affirme Sunil Sood, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital pour enfants Cohen's children de New York.
Des états inflammatoires multi-systémiques
Selon le Professeur Bonnet, ces jeunes patients ont "de 2 à 18 ans". Le Docteur Sood mentionne plutôt "des adolescents, dont le plus jeune a 13 ans".
Les enfants présentent des symptômes digestifs, respiratoires ou infectieux accompagnés d'une atteinte cardiaque, a expliqué Damien Bonnet, chef de service de cardiologie pédiatrique à l'Hôpital Necker, à Paris: "La plupart ont besoin d'être aidés avec des médicaments pour soutenir le fonctionnement du cœur".
"Les enfants évoluent quasiment tous de façon favorable, même s'ils sont dans une situation réanimatoire initialement", insiste le Professeur Bonnet.
De même, tous les jeunes patients dont le Docteur Sood a eu connaissance ont vu leur état s'améliorer, même s'ils ne sont pas encore tous sortis de l'hôpital; aucun n'est décédé.
Inflammation des vaisseaux sanguins
Certains symptômes font penser à un syndrome du choc toxique ou à la maladie de Kawasaki.
Cette maladie qui touche les enfants entraîne une inflammation des vaisseaux sanguins – éruptions cutanées, ganglions, conjonctivite, problèmes cardiaques dans les formes graves. "Chaque vaisseau sanguin du corps est en feu", résume Sunil Sood.
Mais "la maladie de Kawasaki, c'est d'abord une maladie du petit enfant, plutôt moins de 2 ans, même s'il y en a jusqu'à 4 ou 5 ans. Là, on voit tous les âges", note Damien Bonnet.
Doutes sur le lien entre le Covid-19 et cette maladie
Dans tous les pays où ces cas ont été rapportés, certains jeunes patients ont été testés positifs au Covid-19 et d'autres négatifs. Le lien de cause à effet entre le coronavirus et ces symptômes inflammatoires n'est donc pas établi avec certitude (lire encadré).
Pour autant, la conjonction des deux interpelle: "On est dans le temps de l'épidémie de Covid-19, on voit une maladie pas fréquente devenir plus fréquente. Ça nous interroge", explique le Professeur Bonnet.
Autre indice: même si les causes de la maladie de Kawasaki sont inconnues, on suspecte depuis longtemps qu'elle puisse être "une réaction inflammatoire disproportionnée à une infection virale banale", selon Damien Bonnet.
"Il se pourrait que le nouveau coronavirus entraîne la même réponse inflammatoire que celle entraînée par d'autres virus dans la maladie de Kawasaki", renchérit le Docteur Sood.
Chez les adultes, on estime que les formes graves de Covid-19 pourraient être liées au déclenchement d'une trop forte réponse immunitaire causée par la maladie.
Appel à une vigilance accrue
Dans tous les pays concernés, les spécialistes appellent à une vigilance accrue pour mieux repérer les cas d'enfants hospitalisés pour une maladie inflammatoire atypique, et déterminer si oui ou non le lien avec le Covid-19 est avéré.
Qu'il le soit ou non, l'apparition de ces cas risque de nourrir les inquiétudes au moment où plusieurs pays songent à rouvrir les écoles après une période de confinement: "Je pense qu'il y a un bénéfice à ce que les enfants soient scolarisés, qui doit être mis en balance avec le risque sanitaire", juge le Professeur Bonnet.
Selon lui, "les risques à ne pas scolariser les enfants pendant encore de nombreuses semaines, en particulier dans certaines couches de la population, sont peut-être beaucoup plus importants".
Stéphanie Jaquet et les agences
Les mauvaises surprises du Covid-19
Complications inflammatoires, neurologiques, cardiovasculaires: la liste des mauvaises surprises liées à la nouvelle maladie due au SARS-CoV-2 paraît s'allonger semaine après semaine.
La maladie liée au Covid-19 était réputée, dans les cas graves, provoquer des syndromes respiratoires aigus sévères (SRAS, SARS en anglais) et s'attaquer surtout aux personnes âgées et aux adultes présentant des facteurs de risque tel que diabète, hypertension, surpoids, insuffisances cardiaques ou respiratoires.
Semaine après semaine, les soignants découvrent les particularités et complications liées à cette maladie nouvelle pour l'homme autant que pour la médecine.
"Tempêtes de cytokine"
Dans ses formes graves, les cliniciens se sont aperçus que la maladie pouvait entraîner un emballement de la réaction immunitaire, avec ses désormais fameuses "tempêtes de cytokine" pouvant entraîner la mort. La cytokine est une substance élaborée par le système immunitaire qui règle la prolifération de cellules.
Décrit depuis une vingtaine d'année seulement, ce phénomène a été observé pour d'autres coronavirus (SARS en 2003, MERS en 2012) et est suspecté pour expliquer l'hécatombe de la "grippe espagnole" en 1918-19 avec près de 50 millions de morts.
>> Lire: Comment la grippe espagnole a pu faire jusqu'à 100 millions de morts
Une partie de la recherche thérapeutique s'applique précisément à tenter d'apaiser cette sur-réaction immunitaire, comme c'est le cas pour l'essai prometteur d'un médicament immuno-modulateur, le tocilizumab, mené en France.
>> Ecouter l'émission CQFD à propos du tocilizumab:
La perte d'odorat et, dans une moindre mesure, du goût est devenue l'un des marqueurs les plus fiables et distinctifs de la maladie.
Possibles atteintes neurologiques
Des observations cliniques relèvent parallèlement de possibles atteintes neurologiques liées au coronavirus pour certains cas graves.
Uneétude observationnelle conduite à l'hôpital de Strasbourg, publiée le 15 avril dans le New England Journal of Medicine (NEJM), a montré une proportion importante de patients souffrant d'agitation et confusion au sortir d'une prise en charge en réanimation. Mais "les données manquent pour déterminer" si ces troubles sont dus aux effets de la gravité de la maladie avec ses orages immunitaires, à l'infection virale elle-même ou bien sont la conséquence des soins intensifs, selon l'étude.
Début avril, une équipe japonaise a toutefois rapporté la présence de traces de coronavirus dans le liquide céphalorachidien d'un patient souffrant de Covid-19 qui avait développé une méningite et encéphalite, suggérant que SARS-CoV-2 peut pénétrer le système nerveux central.
Problèmes cardiovasculaires suspectés
De plus en plus d'études – là encore essentiellement observationnelles, pour l'heure sans explication précise et irréfutable – indiquent un niveau élevé de complications cardiovasculaires parmi les cas graves de Covid-19.
Fin mars,une étude publiée dans la revue américaine JAMA a documenté des atteintes cardiaques chez 20% d'un groupe de plus de 400 patients hospitalisés à Wuhan en Chine.
Parallèlement, on observe la formation anormale de caillots dans le sang d'une partie des malades: une étude néerlandaise sur un groupe de près de 200 patients montre que c'est une caractéristique pour un tiers d'entre eux.
La présence de caillots dans la circulation sanguine peut avoir comme conséquence dramatique la survenue d'AVC, d'embolie pulmonaire ou d'infarctus: "Cette coagulation ne ressemble pas à la coagulation habituelle", souligne Shari Brosnahan, médecin réanimatrice à l'hôpital new-yorkais NYU Langone.
De plus en plus de cliniciens et chercheurs estiment que ces caillots sanguins jouent un rôle majeur dans la gravité et dans la mortalité de Covid-19.
Mais le lien entre les caillots et le virus SARS-CoV-2 reste un mystère. Il pourrait être indirect, lié encore une fois à l'orage inflammatoire qui secoue certains malades
afp/sjaq