Lorsque la science tâtonne, cela donne parfois des situations étranges ou cocasses.
Un bel exemple cette semaine a été mis sous les projecteurs du monde entier: la revue médicale The Lancet a remis en question son étude qui remettait en cause l'utilisation de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.
Même pour les journalistes spécialisés, il est parfois difficile de surnager dans la déferlante de données et d'études qui sont publiées ou en attente de publication. Fin janvier, la revue Nature s'étonnait que cinquante études aient déjà été publiées à propos du nouveau coronavirus; quatre mois plus tard, ce sont plus de 17'000 publications qui ont vu le jour.
Publications, pré-publications, peer reviews...
C'est sans compter les sites de pré-publications comme bioRxiv, qui comptent déjà 4000 articles scientifiques sur le sujet, en attente d'être soumis au "peer review" – c'est-à-dire d'être révisés par un comité de pairs, des spécialistes du même domaine que les auteurs de l'étude, qui relisent, demandent des précisions, corrigent, valident ou invalident les travaux soumis à une revue.
Ces fameux comités de pairs sont une sorte de comité de lecture spécialisé. Au XVIIe siècle, au tout début des journaux scientifiques, cela n'existait pas: les éditeurs décidaient seuls de publier ou non un papier.
Cela ressemblait plutôt à un échange de correspondance entre passionnés, qui avaient parfois des idées paraissant assez loufoques de nos jours.
Les incongruités de la recherche
Dans les archives du plus ancien périodique scientifique, le journal de la Société royale de Londres pour l'amélioration des connaissances naturelles, on peut lire des articles fondateurs d'Isaac Newton sur la composition de la lumière, mais aussi comment le secrétaire de cette société a décidé de passer quelques minutes dans une chambre chauffée à 127 degrés avec un chien, un steak et un œuf pour voir qui cuisait le mieux.
Ou comment Robert Boyle – plus connu pour ses avancées en thermodynamique – s'est interrogé: est-ce que si l'on transfuse du sang d'un grand chien à un petit chien, est-ce que cela fera grandir ce dernier. Cela peut sembler incongru aujourd'hui, mais pas en 1666.
Peut-être que dans 350 ans, le monde sourira à l'idée que de l'hydroxychloroquine était administrée aux malades du Covid-19 ou, au contraire, qu'on hésitait à s'en servir.
Si, au XVIIe siècle, il était envisageable d'avoir une vue d'ensemble, cela est devenu totalement impossible au XXIe siècle: de nos jours, impossible de ne pas recourir à des comités d'experts dans chaque domaine spécifique. Ces comités de pairs ont été institutionnalisés vers la moitié du XXe siècle.
Une garantie de qualité?
Le "peer review" n'est pas forcément un gage de qualité, plutôt un premier filtre, tout comme vérifier le sérieux de la revue qui publie une étude. Toutefois, un médecin soufflait récemment qu'en ces temps de pandémie, entre les journaux scientifiques les plus prestigieux et Paris Match, "il n'y avait plus tant de différence".
Sans forcer le trait, il est vrai que la précipitation n'est pas très bonne pour l'efficacité des filtres.
Toutefois, difficile d'attendre 350 ans pour juger du sérieux d'une étude; il est important de se souvenir qu'une publication est un instantané. Et il faut toujours s'intéresser à l'échantillon qui a été utilisé: est-ce une étude qui a été faite sur quelques personnes seulement? Des milliers ou des dizaines de milliers? Est-ce que l'article ne mélange pas des corrélations avec des liens de cause à effet?
Il est aussi judicieux de regarder ce que les personnes que l'on connaît et qui font autorité dans le domaine en disent. Même si, sur le front du Covid-19, de tels spécialistes sont très pris: impossible de leur soumettre les milliers d'études qui sortent.
La science en marche
Des scientifiques qui se contredisent ou de prestigieuses revues qui font machine arrière, cela désacralise sans doute passablement la science. Mais cela montre une discipline qui est en train de se faire.
Et c'est passionnant.
Sujet radio: Lucia Sillig
Adaptation web: Stéphanie Jaquet