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Claire-Anne Siegrist: "Il n'est pas nécessaire de vacciner toute la Suisse"

Alors que la vaccination progresse, la question de l’immunité au Covid-19 reste en suspens
Alors que la vaccination progresse, la question de l’immunité au Covid-19 reste en suspens (vidéo) / L'éclairage d'actualité / 3 min. / le 25 janvier 2021
Alors que beaucoup de questions restent en suspens sur les vaccins contre le Covid-19, 54 millions de personnes ont désormais été vaccinées dans le monde. Invitée de La Matinale, Claire-Anne Siegrist, spécialiste des vaccins aux HUG, nuance leur capacité à faire totalement disparaître la pandémie.

La vaccination à large échelle et généralisée pose plusieurs questions, notamment celle de l'utilité de vacciner les personnes qui auraient déjà eu la maladie. La durée de l'immunité après une infection est floue. Dans le cas d'autres coronavirus mieux connus, on sait que celle-ci décline au bout d'un certain temps. Et des premières études sur le Covid-19 laissent penser qu'elle dure au moins 6 à 8 mois.

Mais, même si c'est rare, il y a eu quelques cas de réinfection à plus court terme. La réponse du système immunitaire de personnes plus âgées ou vulnérables peut aussi se montrer moins solide. Ainsi, les spécialistes font valoir qu'il n'y a aucun risque à vacciner quelqu'un qui aurait déjà des défenses et que, au contraire, cela peut leur donner un "coup de fouet" immunitaire.

La durée de la protection conférée par le vaccin est, elle aussi, encore en cours d'évaluation, explique Christiane Eberhardt, membre du centre de vaccinologie des HUG, lundi dans La Matinale. Pour avoir une réponse précise, il faudra attendre d'avoir de nouvelles données issues des tests de phase 3, lors de laquelle les patients sont suivis sur plusieurs années. Selon la spécialiste, il n'est pas exclu qu'il s'avère nécessaire de faire un rappel vaccinal après un, trois, voire cinq ou dix ans.

Le blocage des transmissions incertain

Autre inconnue, il est aujourd'hui difficile de savoir précisément à quel point la vaccination empêche la transmission du virus. Il est en effet trop tôt pour savoir si le vaccin empêche totalement le virus de rentrer dans l'organisme - et donc bloque toute transmission potentielle - ou s'il peut pénétrer, puis être rapidement éliminé sans pouvoir causer de maladie.

Dans le second cas, il pourrait y avoir un court laps de temps, environ quelques jours, lors desquels le virus pourrait se reproduire dans l'organisme, et ainsi se transmettre malgré la vaccination, explique Jean Villard, même si ce dernier se montre a priori sceptique sur cette éventualité.

Enfin, si on sait que le vaccin suscite bien les anticorps qui protègent l'intérieur de notre corps (dans le sang, les muscles,...), on ne sait pas encore si le vaccin empêche le virus de se répliquer à des endroits précis, par exemple sur des muqueuses, car l'immunité locale est difficile à mesurer. Ainsi, pour l'heure, la seule manière de s'assurer que le vaccin protège la population vulnérable, c'est de vacciner directement cette dernière en priorité.

"Une course entre gendarmes et voleurs"

La vaccination n'est pas la solution miracle, prévient Claire-Anne Siegrist, directrice du Centre de vaccinologie aux HUG. C'est pourquoi il ne faut pas voir une contradiction entre l'arrivée des vaccins et des mesures qui sont, en ce début d'année 2021, plus restrictives que jamais.

"On peut comparer ça à une course entre les gendarmes et les voleurs", image-t-elle. Alors que l'immunité de la population - le gendarme - augmentait, devenait plus forte et mettait la pression sur le virus, ce dernier - le voleur - a développé de nouveaux outils pour forcer les portes et entrer par effraction dans notre organisme. C'est ainsi que l'on voit apparaître de nouveaux variants.

Car pour survivre, "tous les virus varient, certains plus que d'autres", explique-t-elle encore. "Depuis son apparition, il existe déjà des milliers de variants du SARS-CoV-2, mais ils avaient tous les mêmes propriétés tant qu'il n'y avait pas d'immunité pour leur mettre la pression."

"Pas nécessaire" de vacciner toute la Suisse

Il n'y a pas une solution unique et parfaitement efficace. S'il y en avait une, on l'aurait trouvée. Évidemment, on peut fermer totalement les frontières ou barricader des villes entières, à l'image de la Nouvelle-Zélande ou de la Chine, mais ces solutions ne sont pas applicables dans de nombreux pays.

C'est pourquoi, selon la chercheuse, il faut combiner plusieurs solutions en fonction des personnes et de leur pertinence. Mais vacciner tout un pays le plus rapidement possible n'est pas la solution miracle: "Il n'est pas nécessaire de vacciner toute la Suisse, et il n'est même pas certain que cela aurait un impact" sur la disparition du virus, estime-t-elle.

Il a été beaucoup dit et répété qu'il n'est pas facile de produire et de distribuer des milliards de doses de vaccins équitablement et à échelle mondiale, rappelle Claire-Anne Siegrist. C'est pourquoi "l'immense majorité des immunologues s'accordent à dire qu'il va désormais falloir vivre avec le Covid-19, on ne va pas l'éliminer. L'objectif, c'est de lui barrer la route, le ralentir afin que l'on puisse revenir à une vie plus normale", conclut-elle.

>> Voir l'interview complète de Claire-Anne Siegrist dans La Matinale :

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Claire-Anne Siegriest, directrice du Centre vaccinologique des HUG
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Claire-Anne Siegriest, directrice du Centre vaccinologique des HUG / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 11 min. / le 25 janvier 2021

Sujets radio: Lucia Sillig et David Berger

Adaptation web: Pierrik Jordan

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Quelle différence entre une infection et un vaccin?

La différence entre la réponse de notre système immunitaire face au vaccin ou face à la maladie peut parfois sembler floue. En effet, sur le principe, le mécanisme est identique, explique Jean Villard, immunologue aux HUG. Il s'agit de développer une mémoire immunitaire qui nous protège sur le long terme.

La nuance, explique-t-il, c'est que le vaccin n'expose le corps qu'à une des protéines du virus, tandis que dans une infection naturelle, le corps est exposé à toutes les structures du virus, ce qui permet une réponse immunitaire plus complète. Mais au risque, évidemment, d'une maladie qui peut être très sévère. Le but de la vaccination est donc d'obtenir une protection équivalente en évitant ce risque.