Une Fribourgeoise atteinte du "locked-in syndrome", ou quand le corps devient une prison
A la question "Comment allez-vous?", Florence, 37 ans, répond sans détour, grâce à une tablette à commande oculaire, "Toujours pareil: ça va. Tout est relatif, car ça ne pourra jamais aller. Mais je réponds ce que les gens veulent entendre". Elle est l'une des rares et des plus jeunes personnes en Suisse à souffrir du "locked-in syndrome" ou syndrome d'enfermement (lire encadré).
Elle s'accroche grâce à ses enfants Mathieu, 10 ans, et Valentin, 5 ans, ainsi qu'à son mari Michael. "J'ai été suicidaire pendant dix-huit mois. Je tiens pour les enfants. Même à Michael, je lui complique la vie", témoigne Florence dans Mise au point. Et son conjoint d'ajouter: "La vie n'est pas devenue plus simple. Mon objectif a toujours été que les enfants aient leur maman à la maison. Pour moi, c'était vital."
Surmonter la sidération
La vie de Florence a basculé un soir de novembre 2019. Au sortir d'une séance de fitness dans son village fribourgeois de Corminboeuf, elle s'est effondrée et a rapidement perdu connaissance dans les vestiaires. A son arrivée aux urgences, son pronostic vital est engagé. Il est resté incertain durant plusieurs jours. "Les semaines qui ont suivi l'accident étaient chaotiques", se souvient Michael. "J'étais incapable de m'organiser au-delà de vingt-quatre heures."
Et il a également fallu informer les enfants. Michael décrit un moment "très difficile": "Je leur ai expliqué qu'il était arrivé quelque chose de grave à leur maman, au niveau de sa tête. Et qu'on ne savait pas de quoi il s'agissait, qu'est-ce qu'il allait arriver et qu'il fallait être patients et courageux."
Paralysée, mais totalement consciente
Après quatorze mois d'hospitalisation et de rééducation, Florence a pu retrouver les siens. Mais il a fallu trouver un appartement adapté, déménager dans l'urgence, organiser les soins à domicile, négocier avec les assurances et avancer d'importantes sommes d'argent.
Des progrès sont visibles, comme le retour des expressions faciles ou la tenue du haut du corps, mais au prix d'une rééducation épuisante: logopédistes, ergothérapeutes et physiothérapeutes se relayent plusieurs fois par semaine. "Avec Florence, nous avons défini, ensemble, des objectifs de traitement qui correspondent à ce qu'elle souhaite faire dans sa vie au quotidien: se retourner dans le lit, se mettre sur le côté", explique Florence Morel, physiothérapeute.
Et d'ajouter: "Elle s'est fixée des objectifs réalistes. Elle n'est pas dans le déni. Elle est tout à fait consciente de ses capacités et de son handicap."
Retrouver une vie de famille
Mais pour la mère de famille, il est impossible d'oublier les gestes de la "vie d'avant". "Ce qui me manque le plus? C'est les bras. J'envie même les paraplégiques." Si sa tablette connectée, qui capte les mouvement de ses yeux, l'aide à communiquer, cela prend plus de temps. "Vous voyez le temps qu'il faut pour revenir (sic) pour répondre. Vous imaginez ma frustration quand je veux dire quelque chose directement", souligne-t-elle.
Florence et Michael, qui se connaissent depuis l'enfance, arrivent toutefois à communiquer sans la tablette. La voix robotique de l'outil se tait pour laisser la place à un échange de regard: en haut, en bas, à gauche, à droite... Leur complicité est restée intacte.
Elan de générosité
La diffusion du reportage de Mise au point, en avril dernier, a suscité une avalanche de commentaires et de réactions sur les réseaux sociaux. Florence se sent désormais davantage comprise par les autres. "Maintenant, on arrête de me parler comme à une enfant!" Et Michael d'ajouter: "Cela m'a un peu redonné foi en l'être humain".
Grâce à un élan de générosité, la famille fribourgeoise a pu acheter un appartement mieux adapté à leur nouvelle vie. "Les vingt derniers mois ont été très compliqués. Le bouleversement était tellement grand qu'il a fallu déplacer des montagnes pour revenir à une certaine normalité. Nous sommes au tout début, la route est encore longue", estime Michael.
Sujet TV: Yves Godel
Adaptation web: Valentin Jordil
"Nous ne pouvions pas nous empêcher de nous projeter dans sa situation"
Le "locked-in syndrome" est une pathologie rare et imprévisible qui apparaît le plus souvent après un AVC. "Il résulte d'une lésion au niveau du tronc cérébral", décrit la neurologue Joelle Chabwine, responsable de l’Unité de neuroréhabilitation de l’HFR Meyriez-Murten, dans l'émission de la RTS Mise au point.
Et de poursuivre: "Le tronc cérébral est un peu la tige sur laquelle repose le cerveau et par laquelle transitent toutes les voies de commande de toutes les fonctions du corps. Dans le 'locked-in syndrome', la lésion se situe exactement au lieu de passage des fibres de la motricité volontaire."
Soignée à l'Unité de neuroréhabilitation de l’HFR , Florence a marqué le personnel soignant. "La plupart d'entre nous sommes dans la même tranche d'âge qu'elle. Nous ne pouvions pas nous empêcher de nous projeter dans sa situation", note la neurologue.
Joelle Chabwine salue la détermination avec laquelle Florence s'est battue et s’est accrochée.