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La détection du GHB dans le corps humain est très difficile

Une illustration de la molécule de GHB, le gamma-Hydroxybutyrate (C4.H8.O3). [Science Photo Library via AFP - APA]
La difficile détection du GHB / CQFD / 9 min. / le 11 janvier 2022
Le GHB – aussi nommée "drogue du violeur" – pose des problèmes aux services d'urgences médicales, car elle est très difficile à détecter. En cas d'intoxication, le personnel médical n'a qu'une poignée d'heures pour établir un diagnostic.

Un peu de GHB versé dans une boisson rend les victimes manipulables, sans volonté, voire inconscientes, d'où son surnom de "drogue du violeur". Cette substance fait régulièrement parler d'elle.

Dans le canton de Neuchâtel, une jeune femme de vingt-cinq ans s'est retrouvée à l'Hôpital durant les fêtes, après une visite dans un bar de nuit. Elle critique la prise en charge par les services d'urgence qui n'ont pas réussi, selon elle, à déceler à temps la présence de cette drogue dans son corps. Elle est en effet très difficile à repérer, car il faut agir très rapidement pour établir un diagnostic.

>> Lire : A Neuchâtel, le Grand Conseil se saisit des cas d'intoxication au GHB

GHB est le diminutif de l'acide gamma-Hydroxybutyrate. Cette substance à l'état chimique a été interdite il y a plusieurs années; il est donc devenu très difficile de s'en procurer. C'est pourquoi la drogue de synthèse qui est aujourd'hui utilisée est en fait son précurseur, le GBL – pour gamma-Butyrolactone – un solvant industriel utilisé dans des peintures et des produits de nettoyage.

Course contre la montre

Le GBL est plus facile d'accès et, une fois dans l'organisme, se transforme en GHB. Il provoque les mêmes effets que la drogue à l'état pur. Le souci avec ce type de substance, c'est que la fenêtre de détection dans le corps est extrêmement limitée.

Dans le sang, la durée de vie de la molécule est d'environ six à huit heures et dans les urines un tout petit peu plus: on peut retrouver le psychotrope jusqu'à douze heures après ingestion. Passé ce laps de temps, impossible de déceler la moindre trace de GBL ou de GHB. Un vrai problème, surtout lorsque les victimes ne réalisent pas tout de suite qu'elles ont été droguées, ou que les services d'urgence tardent à faire des tests spécifiques qui permettent de détecter la présence de cette substance.

C'est ce qui s'est passé à Neuchâtel: les services médicaux n'ont pas eu la présence d'esprit de faire tout de suite des analyses adéquates. Dans ce cas précis, il aurait fallu faire une prise de sang et l'envoyer pour analyse aux HUG, à Genève. Comme cela n'a pas été fait, il a été impossible pour la victime de savoir si, oui ou non, cette drogue du violeur a été versée dans son verre et, surtout, d'avoir des preuves pour déposer plainte.

>> Réécouter l'interview de Marc Augsburger, en charge de l'Unité de Toxicologie et de Chimie Forensiques du CURML :

Agressions au GHB: interview de Marc Augsburger
Agressions au GHB: interview de Marc Augsburger / Forum / 4 min. / le 7 novembre 2021

Quid des contrôles systématiques?

La solution pourrait passer par des contrôles systématiques lorsqu'une personne arrive aux urgences dans un état comateux, après une soirée dans un bar ou une boîte de nuit. Cela commence à se faire, notamment dans le canton de Vaud où, depuis une année, le Conseil d'Etat a demandé un dépistage systématique.

Le GHB et le GBL ne laissent aucune trace dans le corps après huit à douze heures. [Science Photo Library via AFP - Photostock-Israel/PSI]
Le GHB et le GBL ne laissent aucune trace dans le corps après huit à douze heures. [Science Photo Library via AFP - Photostock-Israel/PSI]

Les services policiers et hospitaliers ont été sensibilisés à la problématique et savent qu'une fois qu'un patient se présente, c'est une véritable course contre la montre qui débute pour prélever du sang ou des urines. L'idée est de détecter un maximum de cas afin d'avoir une idée la plus juste possible de la situation.

Psychotrope récréatif mais dangereux

Toutefois, cette molécule n'est pas uniquement utilisée dans un but de soumission chimique, mais aussi à des fins récréatives: "Le GHB est une molécule qu'on connaissait surtout dans l'anesthésie et, après, cela a surtout été utilisé dans le milieu des gens qui font du fitness pour faire de la musculation", explique Barbara Broers, responsable de l'Unité des dépendances en médecine de premier recours aux HUG. "Après, cela a été utilisé de plus en plus comme une sorte d'alcool pas trop cher et comme désinhibiteur sexuel."

"En Suisse, on connaît cette utilisation depuis assez longtemps et ça n'a jamais été un aussi grand problème que, par exemple, dans d'autres pays, comme les Pays-Bas, où il y a eu beaucoup d'utilisation, surtout dans des villages, où c'était 'l'alcool bon marché'. Nous, nous n'avons pas tellement eu cette utilisation de masse: ce sont plutôt des sous-groupes qui l'utilisent à des fins récréatives, sexuelles, mélangées souvent à d'autres substances", remarque encore celle qui travaille sur le GHB depuis de nombreuses années.

Le GHB ou le GBL sont des substances qui, "à petit dosage ont un effet euphorisant et relaxant", note Barbara Broers. "Mais, très rapidement, on passe dans le rouge et les gens s'endorment profondément et peuvent arrêter de respirer. Et, surtout, ils ont cette amnésie totale par rapport à ce qui se passe. Donc on vire tout à coup dans le rouge: c'est ça qui est problématique avec les intoxications. En plus, on n'a pas d'antidote: donc il faut absolument amener les gens aux urgences et il faut souvent les intuber pour les sauver! Les gens peuvent mourir de cela! C'est dangereux, on le sait: aux urgences, on jongle avec ça. On sait que le pic n'est pas très très long, mais de temps en temps, on n'échappe pas à l'intubation", insiste-t-elle.

Statistiques difficiles à tenir

Les choses peuvent très vite mal tourner, mais il y a aussi des personnes qui perdent connaissance, rentrent ou se font raccompagner à la maison et ne se souviennent de rien le lendemain matin. Celles-ci ne saurons jamais si elles ont simplement trop bu – car l'alcool est la première drogue de soumission – ou si elles ont été vraiment été intoxiquées au GHB.

Ces personnes échappent aux statistiques, car il est trop tard pour aller à l'hôpital pour se faire dépister. La plupart des personnes sous substance n'arrivent du reste pas à se déplacer aux urgences avant plusieurs heures. C'est pour cette raison qu'il est très difficile d'avoir une image précise concernant la circulation de cette drogue, même lorsque c'est cette molécule qui est ciblée. Il est très difficile de répertorier tous les cas: "On a un problème technique: on trouve la substance si le délai est court. Huit heures dans le sang et douze heures dans les urines, c'est très difficile. Donc dans de vraies études épidémiologiques, on sait que cela va être sous-estimé. Mais, aux urgences, si on a vraiment une suspicion de GHB ou GBL, l'analyse est faite".

Parfois, les gens disent aussi avoir pris la substance, dans ce cas, le test, qui est coûteux, n'est pas réalisé. D'autant plus qu'il n'est pas remboursé par l'assurance maladie: son prix peut atteindre une centaine de francs. Les victimes peuvent donc facilement renoncer à se faire dépister, sauf, donc, dans le canton de Vaud où le test est systématiquement pratiqué en cas de suspicion. Difficile d'avoir des statistiques solides (lire encadré).

>> Revoir le sujet de Mise au Point sur le GHB en Suisse romande :

GHB : La drogue du violeur affole les nuits romandes
GHB : La drogue du violeur affole les nuits romandes / Mise au point / 14 min. / le 12 décembre 2021

Sujet radio: Sophie Iselin

Version web: Stéphanie Jaquet

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Premier bilan attendu

Face aux récentes affaires liées au GHB et aussi aux mouvements lancés sur les réseaux sociaux via le hashtag #BalanceTonBar, qui veut dénoncer les lieux de fête qui n'agissent pas ou pas assez face à la circulation de ces substances, il existe tout de même une volonté politique et scientifique de faire le point sur la situation.

Un premier bilan de l'unité de toxicologie du centre universitaire romand de médecine légale sur le nombre d'intoxications répertoriées liées au GHB pour l'année 2021 est attendu. On sait déjà que ce nombre sera sous-estimé. Le directeur adjoint du Centre l'a dit: "Ce n'est pas parce qu'on ne trouve pas de traces de GHB chez un patient qu'il n'y en a pas eu". Malgré tout, le rapport permettra d'avoir une vue plus précise de la situation.

C'est important, car beaucoup de rumeurs ont circulé: des personnes pensaient avoir été droguées alors qu'elles étaient en fait majoritairement intoxiquées par l'alcool. Mais, finalement, il n'y a pas encore eu en Suisse de véritables études scientifiques sur ce phénomène. Les scientifiques se trouvent au défi de traquer le GHB dans la population.