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Des scientifiques de Genève tentent de décoder les signaux cérébraux du langage intérieur

Des chercheurs sont parvenus à détecter dans le cerveau les signaux qui indiquent qu'une personne se parle à elle-même. [Depositphotos - denisismagilov]
Décoder le langage intérieur pour soigner les troubles de la parole / CQFD / 8 min. / le 13 janvier 2022
Une équipe de recherche genevoise est parvenue à identifier certains signaux produits par le cerveau lorsque l'on se parle à soi-même. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives pour le développement d'interfaces destinées aux personnes souffrant d'aphasie, par exemple.

Pour qu'un individu puisse s'exprimer, différentes zones de son cerveau doivent s'activer. Ces régions peuvent cependant être sérieusement endommagées à la suite d'une atteinte du système nerveux, a indiqué mercredi l'Université de Genève (UNIGE) dans un communiqué.

Par exemple, la sclérose latérale amyotrophique – ou maladie de Charcot – peut paralyser complètement les muscles qui servent à parler. Dans d'autres cas, suite à un AVC, ce sont les aires du cerveau responsables du langage qui sont atteintes: on parle alors d'aphasie. Souvent, l'aptitude des patients à imaginer des mots et des phrases demeure en partie fonctionnelle.

Parvenir à décoder notre parole interne présente donc un grand intérêt. Mais la tâche est loin d'être aisée, comme l'explique Timothée Proix, collaborateur scientifique au Département des neurosciences fondamentales de l'Université de Genève: "Plusieurs recherches ont été menées sur le décodage du langage parlé mais beaucoup moins sur le décodage de la parole imaginée".

"Dans ce dernier cas, les signaux neuronaux associés sont faibles et variables par rapport à la parole explicite. Ils sont donc difficiles à décoder par des algorithmes d'apprentissage", ajoute le spécialiste, cité dans le communiqué.

>> Lire aussi : Un nouveau dispositif permettant aux épileptiques de mieux planifier leur quotidien et Une sonate de Mozart pour mettre l'épilepsie en sourdine

Une parole bien cachée

Lorsqu'une personne s'exprime à haute voix, elle produit des sons qui sont émis à certains instants précis. Chercheuses et chercheurs peuvent mettre en relation ces éléments tangibles avec les régions cérébrales sollicitées.

Dans le cas de la parole imaginée, les scientifiques n'ont aucune information sur le séquençage et le tempo des mots ou des phrases formulés à l'interne par l'individu. Quant aux zones alors recrutées dans le cerveau, elles sont également moins nombreuses et moins actives.

Pour parvenir à percevoir les signaux neuronaux de cette parole bien particulière, l'équipe de l'UNIGE s'est basée sur un panel de treize personnes hospitalisées, en collaboration avec deux hôpitaux américains. Elle a collecté des données grâce à des électrodes directement implantées dans leur cerveau, un dispositif déployé à l'origine pour évaluer leur trouble épileptique: "Nous avons essayé de maximiser nos chances d'avoir ces signaux qui représentent le langage imaginé. Pour cela, on utilise des signaux qui viennent d'électrodes intracrâniennes", décrit Timothée Proix au micro de CQFD.

Des électrodes intracrâniennes

"Ce ne sont pas des électrodes qu'on met à la légère: on a demandé soit à des patients qui sont atteints d'épilepsie réfractaire, soit qui ne répondent pas aux médicaments. Pour certains de ces patients, une des possibilités est d'enlever la zone du cerveau qui est à l'origine des crises. Ils viennent à l'hôpital pendant environ deux semaines et on leur implante ces électrodes en essayant de localiser le plus finement possible cette zone du cerveau responsable des crises afin d'essayer de l'enlever, si possible. Et ce sont ces patients, s'ils le désirent, qui font l'expérience avec nous, ce qui est très précieux", souligne-t-il.

Ces personnes ont dû prononcer des mots, puis les imaginer: "A chaque fois, nous avons passé en revue plusieurs bandes de fréquences de l'activité cérébrale connues pour être impliquées dans le langage", explique Anne-Lise Giraud, professeure au Département des neurosciences fondamentales de l'UNIGE, et nouvellement directrice de l'Institut de l'Audition à Paris.

>> Le langage prononcé (à gauche), comparé au langage imaginé (à droite), sur quatre bandes de fréquences (lire la légende explicative) : Le langage prononcé (à gauche), comparé au langage imaginé (à droite), sur quatre bandes de fréquences. Les lignes verticales indiquent les événements temporels pertinents de l'étude: période de base (entre les lignes noires), apparition du mot à l'écran (vert), indices auditifs (rouge), temps de parole attendu (bleu clair), temps de parole réel (bleu foncé), fenêtre d'analyse (bleu pointillé clair) et réponse manuelle (violet). [Nature Communications - Thimothée Proix et al.]
Le langage prononcé (à gauche), comparé au langage imaginé (à droite), sur quatre bandes de fréquences. Les lignes verticales indiquent les événements temporels pertinents de l'étude: période de base (entre les lignes noires), apparition du mot à l'écran (vert), indices auditifs (rouge), temps de parole attendu (bleu clair), temps de parole réel (bleu foncé), fenêtre d'analyse (bleu pointillé clair) et réponse manuelle (violet). [Nature Communications - Thimothée Proix et al.]

La bonne fréquence

Concrètement, l'équipe de recherche a observé plusieurs types de fréquences produites par différentes zones cérébrales. Les oscillations thêta (4-8Hz) correspondent au rythme moyen d'élocution des syllabes. Les fréquences gamma (25-35Hz) sont observées dans les zones du cerveau où se forment les phonèmes – les voyelles ou les consonnes, notamment.

Les ondes bêta (12-18Hz) sont quant à elles relatives aux régions cognitivement plus performantes, par exemple pour anticiper et prédire l'évolution d'une conversation. Enfin, les hautes fréquences à large bande (80-150Hz) sont celles que l'on observe lorsqu'une personne s'exprime oralement, détaille Pierre Mégevand, professeur assistant à l'UNIGE et médecin adjoint agrégé aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Dans leur étude publiée dans la revue Nature Communications, les scientifiques ont ainsi pu montrer que les fréquences basses et le couplage entre certaines fréquences (bêta et gamma notamment) contiennent des informations essentielles pour le décodage de la parole imaginée (lire encadré).

Mais la science n'a pas encore réussi à vraiment décoder ces pensées: "Pour avoir une application concrète, il faudra faire des améliorations majeures", remarque Timothée Proix. "Il faudra améliorer la performance du décodage du nombre de mots et pouvoir le faire en temps réel, lorsque le patient imagine un mot", conclut Timothée Proix à CQFD.

Stéphanie Jaquet et l'ats

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L'importance du cortex temporal

Cette recherche révèle également que le cortex temporal est une zone importante pour décrypter la parole interne.

Situé dans la partie latérale gauche du cerveau, celui-ci intervient dans le traitement des informations relatives à l'audition et la mémoire, mais la zone abrite surtout une partie de l'aire de Wernicke, responsable de la perception des mots et des symboles du langage.

Ces résultats constituent une avancée majeure dans la reconstruction de la parole à partir de l'activité neuronale, même si l'on est encore très loin de pouvoir décoder le langage imaginé, conclut l'équipe de recherche.