Gilles Allali: "La maladie d'Alzheimer commence ses dégâts 10 à 15 ans avant le diagnostic"
Intitulé Brain Health Registry (BHR), ce registre national en ligne facilite l'inscription de participants et participantes à des études, ainsi que l'accès à une base de données de volontaires pour les chercheurs.
Inspiré d'autres registres de ce type mis en place notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Ecosse ou encore aux Pays-Bas, il vise à constituer une base de données de personnes, dès 50 ans, qui souhaitent apporter leur contribution à la recherche sur les maladies neurodégénératives et plus particulièrement sur la maladie d'Alzheimer.
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"Nous ne cherchons pas des cobayes, nous cherchons le reflet de la société", explique le neurologue et directeur du Centre Leenards de la mémoire au CHUV Gilles Allali, jeudi dans La Matinale. Ce qui rend les études très difficiles, c'est de recruter les bonnes personnes. "Quand vous recrutez dans des Centres de la mémoire, vous avez un biais majeur, puisque les gens qui viennent nous voir pensent avoir quelque chose. Et certains d'entre eux ont quelque chose."
Poser un diagnostic plus tôt
L'objectif de ce partenariat scientifique est donc de faire progresser la recherche sur les maladies neurodégénératives en mettant en place des approches thérapeutiques préventives et des techniques de diagnostics précoces. Il permet aux volontaires d'accéder potentiellement à des technologies de pointe, à des méthodes de traitement innovantes et aux médicaments les plus récents.
"Quand les patients frappent à notre porte, la maladie a déjà provoqué des dégâts depuis plusieurs années, entre 10 et 15 ans, selon les maladies", souligne Gilles Allali. Avant d'ajouter: "L'idée est d''investir' la phase silencieuse, asymptomatique, de la maladie et de prévenir l'émergence des premiers symptômes."
Pas seulement une question de mémoire
Le premiers signe de la maladie? "Il suffit d'avoir la plainte d'une perte de mémoire, sans avoir de véritables difficultés, d'un patient à son médecin", explique Gilles Allali. L'alerte est souvent déclenchée par les proches, car "on n'est pas conscient que notre mémoire ne fonctionne pas bien".
Et d'ajouter: "On a souvent réduit la maladie d'Alzheimer à des pertes de mémoire. C'est vrai pour la majorité des cas. Cependant, pour un groupe important de malades, Alzheimer commence sans trouble de la mémoire, mais par des problèmes du langage ou de la vision."
En Suisse, 150'000 personnes sont atteintes de la maladie d'Alzheimer. Ce chiffre est toutefois "probablement sous-estimé", selon Gilles Allali. "Certes, la maladie d'Alzheimer augmente, parce que la population vieillit et augmente, mais elle n'a pas explosé comme attendu." Les raisons? Les mesures de prévention, par exemple l'éducation - qui "a permis de faire reculer l'apparition des premiers signes" - ou l'amélioration de la prise en charge de certaines maladies cardiovasculaires, facteurs de risque.
Espoir d'un médicament
Actuellement, il n'existe pas de traitement curatif pour la maladie d'Alzheimer. "La maladie n'est pas seulement due à un gène. Elle est multifactorielle, ce qui rend la compréhension et la mise en place de traitements très difficiles", décrit Gilles Allali.
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Pour la première fois depuis 2003, un nouveau médicament contre la maladie d'Alzheimer a été autorisé aux Etats-Unis, en juin 2021. Swissmedic devrait se prononcer en avril. "Les effets secondaires sont importants", note-t-il. "Le médicament nettoierait le cerveau de ces protéines anormales (amyloïde). Sur le plan symptomatiques, les effets sont plus tenus. Il y a des espoirs, mais je ne veux pas que la population ait des espoirs inconsidérés. C'est trop tôt."
Propos recueillis par David Berger/vajo avec l'ats
Gilles Allali: "Le Covid peut aussi attaquer la paroi des vaisseaux cérébraux"
Les conséquences du Covid-19 à long terme sur le cerveau restent encore mystérieuses pour les médecins, selon le neurologue et directeur du Centre Leenards de la mémoire au CHUV Gilles Allali.
"Lors de la première vague, nous avions les premiers patients qui étaient hospitalisés aux soins intensifs et placés dans un coma artificiel pour pouvoir les ventiler correctement, explique-t-il jeudi dans La Matinale. Au moment de les réveiller - car la phase aiguë, critique, était passée - ils ne se réveillaient pas. Ils restaient dans un coma dû à une inflammation du virus au niveau du cerveau."
Avant d'ajouter: "Nous avons découvert assez tôt que le Covid attaque la paroi des vaisseaux, mais également la paroi des vaisseaux cérébraux. Le problème, c'est qu'on ouvre la 'barrière' qui fait obstacle entre le sang et le cerveau. Du coup, le cerveau était ouvert à des paramètres inflammatoires."
L'une des autres manifestations de cette inflammation était des patients "qui présentaient des états psychotiques, une espèce de folie". "J'en parlais à l'époque avec ma fille qui me disait: 'les patients deviennent complètement fous'. Et c'est exactement cela. Des patients, par forcément très âgés et sans aucun antécédent psychiatrique, commençaient à avoir des hallucinations, des idées délirantes ou des idées de persécution."
A la question de savoir si la médecine est parvenue à traiter ces problèmes, Gilles Allali répond: "Non". Il indique toutefois qu'il s'agit de "cas rares".