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L'hibernation des écureuils pourrait aider astronautes et personnes alitées

Le Spermophilus tridecemlineatus est un rongeur terrestre appelé spermophile rayé, spermophile à treize bandes ou encore souslik à treize bandes. [Wikimedia - Phil Myers, Museum of Zoology, University of Michigan]
L'hibernation des écureuils au service des astronautes / CQFD / 9 min. / le 31 janvier 2022
Lorsqu'ils hibernent, certains animaux ne perdent pas trop de masse corporelle. Des scientifiques canadiens se sont penchés sur des écureuils, les spermophiles rayés, pour comprendre leurs mécanismes d'hibernation. Une étude qui pourrait aider à l'avenir les astronautes ou les personnes alitées.

Des scientifiques canadiens ont travaillé sur des lignées d'écureuils utilisés en physiologie animale pour étudier les mécanismes de l'hibernation. Le spermophile rayé, de son nom latin Spermophilus tridecemlineatus, est un rongeur qui cesse de manger durant l'hiver; il survit jusqu'au printemps grâce aux réserves de graisses emmagasinées durant l'été. Il peut dormir jusqu'à huit mois dans l'année.

Jeûner et rester inactif devraient donc réduire considérablement sa masse musculaire, ce qui n'est pas le cas. Selon l'étude parue dans Science, cet écureuil exploite une astuce métabolique de son microbiote intestinal pour recycler l'azote présent dans l'urée – un déchet habituellement excrété sous forme d'urine – qui est utilisé pour fabriquer de nouvelles protéines tissulaires.

Cela s'appelle le recyclage de l'azote uréique, une théorie émise dans les années 1980 et désormais confirmée. Cette découverte pourrait aider à l'avenir les astronautes ou les personnes longuement alitées. Le biologiste Fabrice Bertile est chargé de recherche CNRS dans l'équipe Spectrométrie de Masse Bio-organique à l'institut pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg. Il confirme que cette étude ouvre de très intéressantes perspectives: "On sait parfaitement que le microbiote intestinal est intimement impliqué dans le contrôle du métabolisme au sens large des organismes et ceci à tous les niveaux", affirme-t-il au micro de l'émission CQFD.

Récupération de l'azote de l'urée

Pour cette recherche, les biologistes ont étudié le microbiote intestinal – composé de 100'000 milliards de bactéries – à trois moments de l'année: en été, en début d'hiver et à la fin de l'hiver, lorsque les écureuils étaient à jeun et en hibernation depuis quatre mois.

Le microbiote de certains sujets a aussi été appauvri et il a été observé que ces écureuils-ci ne présentaient aucun signe de récupération de l'azote de l'urée: "Il est difficile de dire ce qui se passe au niveau de la masse musculaire, car ce paramètre n'a pas été mesuré dans cette étude". Selon Fabrice Bertile, on pourrait donc imaginer une perte musculaire chez ces animaux et d'ajouter: "Mais tout ce que l'on sait, c'est que l'azote qui est recyclé par les bactéries intestinales peut effectivement être utilisée pour les synthèses de protéines musculaires de l'animal lui-même".

Le biologiste précise que chez ces modèles hibernants, tout commence par une diminution des processus de dégradation des protéines: "Dès le départ, avant tout recyclage éventuel d'urée, des mécanismes se mettent en place pour préserver les protéines musculaires. Une partie de l'urée est aussi excrétée par voies urinaires: il doit donc y avoir aussi potentiellement une réabsorption au niveau de la vessie, par exemple".

L'ours "Otis" avant sa préparation à l'hibernation, le 26 juillet 2021 (en haut). Et le même après s'être engraissé en vue de l'hiver, le 16 septembre 2021 (en bas). Katmai National Park and Preserve, Alaska. [via Reuters - N.Boak (top)/C. Spencer/Explore.org/U.S. National Park Service]
L'ours "Otis" avant sa préparation à l'hibernation, le 26 juillet 2021 (en haut). Et le même après s'être engraissé en vue de l'hiver, le 16 septembre 2021 (en bas). Katmai National Park and Preserve, Alaska. [via Reuters - N.Boak (top)/C. Spencer/Explore.org/U.S. National Park Service]

Pendant l'hibernation, l'activité rénale est aussi généralement ralentie, tout comme la fonction intestinale. Des études futures pourront sans doute éclairer le rôle précis du microbiote.

Une préparation à l'entrée et la sortie de l'hibernation

L'étude montre aussi que c'est à la fin de l'hiver, donc de l'hibernation, que l'azote uréique est le plus élevé dans les tissus de l'écureuil, comme si son organisme se préparait à sa sortie, au printemps: "On ne connaît pas exactement les déterminants ni de l'entrée en hibernation, ni de sa sortie, mais nous savons que tous ces événements sont très progressifs. Chez les ours, le métabolisme ralentit plusieurs semaines avant l'entrée en hibernation et reprend aussi plusieurs semaines avant la sortie d'hibernation. Les organismes, effectivement, se préparent".

"L'étude suggère qu'il s'agit d'un mécanisme de préparation à la saison active ou alors que le besoin pour l'organisme de lutter contre la perte de protéines se fait de plus en plus pressant en fin d'hibernation", souligne ce spécialiste de l'ours, qu'il étudie sur le terrain. Les bactéries intestinales fonctionnent de la même manière: elles utilisent elles-mêmes l'azote de l'urée pour fabriquer de nouvelles protéines.

Seraient-elles aussi en hibernation? "Oui et non", rétorque Fabrice Bertile. "Sans apport alimentaire, la plupart des bactéries vont voir leur métabolisme ralentir. On pourrait assimiler ça à un état qui pourrait ressembler à de l'hibernation, car elle vont notamment arrêter de se diviser. Certaines bactéries vont mieux utiliser que les autres ce qui est à leur disposition pour leur propre besoin. En augmentant, ici, leur capacité à utiliser l'azote de l'urée".

Utile pour les astronautes

Les résultats de cette étude pourraient être utiles aux astronautes: des personnes qui, après avoir passé du temps en microgravité, perdent facilement de leur masse musculaire. En revenant de leur mission spatiale, voyageurs et voyageuses de l'espace ont du mal à marcher, malgré une alimentation équilibrée et des exercices physiques quotidiens. Leurs muscles doivent se reconstituer, car ces stratégies ne suffisent pas.

"Cette étude donne des pistes très intéressantes pour stimuler la synthèse protéique chez les astronautes et ceci d'une manière innovante", remarque le biologiste. Au-delà des astronautes, ces découvertes pourraient bénéficier aux personnes âgées, à celle qui ont un comportement sédentaires, ou qui sont immobilisées sur de longues périodes.

Augmenter les processus de synthèse des protéines musculaires peut déjà se faire grâce à la pharmacologie, notamment: "Ici, pour exploiter les microbes de l'intestin humain, on pourrait faire en sorte qu'ils recyclent aussi l'urée". Cela semble réalisable avec le microbiome de l'être humain, selon Fabrice Bertile: "Il est possible d'agir sur les différentes populations de micro-organismes via l'alimentation, par exemple. On peut aussi ensemencer le microbiote d'un individu avec des souches particulières. Donc on pourrait imaginer favoriser les bactéries qui sont capables de maximiser le recyclage de l'azote".

Une fois que le fonctionnement de ces microbes sera mieux compris, le scientifique envisage aussi la possibilité qu'un jour, des traitements puissent être développés pour améliorer cette capacité chez les êtres humains.

Interview radio: Sarah Dirren

Version web: Stéphanie Jaquet

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