Le CHUV est le premier centre suisse accrédité par Swissmedic pour la greffe fécale depuis 2019. L'hôpital cherche des personnes volontaires pour donner leurs selles – oui, il s'agit bien de caca! – afin de pouvoir entreprendre des traitements.
Le don de selles peut faire sourire, intriguer ou dégoûter, mais il a une réelle importance thérapeutique. Depuis l'été 2021, les pharmaciens du CHUV produisent de singulières gélules blanches qui contiennent du microbiote fécal. Ce médicament n'est utilisé que pour une seule maladie: l'infection causée par une bactérie nommée Clostridioides difficile en latin, plus communément appelée "Infection à C. difficile".
Les personnes atteintes par cette infection sont victimes de diarrhées chroniques – 10 fois par jour – et récidivantes. Il n'est pas facile d'en guérir et les antibiotiques ne fonctionnent pas bien. Transférer le microbiote sain d'un donneur chez ces malades permet une guérison dans 85 à 90% des cas (lire encadré).
Une sélection minutieuse
Donneurs et donneuses sont minutieusement sélectionnés: sur cent volontaires au départ, seuls dix seront finalement aptes à donner leurs selles. L'objectif est d'avoir un microbiote fécal de très bonne qualité.
Selon Tatiana Galperine, médecin infectiologue et responsable de ce centre de transplantation de microbiote fécal, il est en réalité plus complexe de donner ses selles que son sang à cause de la sélection, extrêmement rigoureuse: "Elle se fait à la fois sur des données cliniques, des données d'antécédents familiaux ou personnels", souligne-t-elle au micro de l'émission CQFD.
Lors de l'anamnèse, il faut déterminer s'il n'y a pas de cancer chez la personne volontaire ou dans sa famille: "On ne prend pas de risques, on les élimine. Puis on vérifie que la personne n'a pas de pathologies en lien avec le microbiote intestinal. Comme par exemple une maladie inflammatoire de l'intestin".
Un questionnaire complet de santé doit être rempli et pour être éligible au don, il ne faut pas avoir voyagé dans les six mois, notamment dans les pays tropicaux. Il faut aussi faire attention à son alimentation: comme par exemple ne pas avoir mangé de poisson cru ou de chasse. Ne pas avoir consommé d'alcool, ni n'avoir fumé (lire encadré).
Puis Tatiana Galperine liste: "Il ne faut pas être en surpoids, il ne faut pas avoir pris d'antibiotiques, il ne faut pas prendre de médicaments en général, il faut être en bonne forme". En plus de ces nombreux critères, des sélections biologiques sont opérées sur le sang et les selles: "Ce bilan se fait à plusieurs moments de la période de dons puisque le volontaire, une fois sélectionné, va donner pendant une période de trente jours. Il va venir au moins deux fois par semaine. Cela demande beaucoup d'investissement". Les personnes qui ont effectué des dons sont ensuite surveillées pendant au moins cinq ans.
Transformation en gélules
La "matière première" est livrée dans un fécontainer, un récipient spécial ou sont déposées les précieuses selles, au sous-sol du CHUV, dans un minuscule laboratoire tout équipé pour la production pharmaceutique.
L'idée est de ne garder que la flore microbienne – qui contient des milliards de bactéries, de phages, de métabolites. Elle est versée dans différents tubes qui passent dans une centrifugeuse pendant vingt minutes.
Quand les tubes ressortent, il y a un amas marron dans le fond et du liquide au dessus. Un cryoconservateur est ajouté et une machine encapsule la matière dans chaque gélule blanche de 650 millilitres. Avec le don du jour, pharmaciennes et pharmaciens peuvent fabriquer 240 gélules de microbiote fécal: cela correspond à cinq traitements.
Les médicaments – car cela est considéré comme tel d'un point de vue juridique en Suisse – sont gardés environ quinze jours, le temps que toutes les analyses soient terminées. Cette production avec congélation et conservation des gélules a été mise au point entre 2020 et 2021. Auparavant, la logistique était plus compliquée, car les infectiologues travaillaient avec du microbiote fécal frais qu'il fallait transférer dans la foulée aux malades.
Un microbiote à haut potentiel
Les scientifiques constatent que la transplantation de microbiote fécal permet la guérison de l'infection à C difficile. Mais en revanche, comme souvent en médecine, l'action thérapeutique précède la compréhension des mécanismes. Ceux-ci nécessitent de la recherche. Les patients ont un microbiote intestinal altéré, déséquilibré qui va rendre possible l'infection par la bactérie pathogène C difficile. Avec le transfert du microbiote sain des donneurs, de bonnes bactéries viennent coloniser l'intestin, et faire une barrière pour empêcher au clostridium de s'implanter.
Ce microbiote qui restaure la santé de l'intestin intéresse le corps médical pour beaucoup d'autres maladies. De la recherche est effectuée sur les maladies inflammatoires de l'intestin, donc et aussi sur des maladies métaboliques (diabète, obésité), en neurologie (Parkinson, la dépression, l'autisme) ou même les cancers pour améliorer la réponse aux traitements en immunothérapie. Beaucoup d'espoirs qui nécessitent des essais cliniques sérieux, car il faut comprendre le fonctionnement de ce traitement.
Sujet radio: Cécile Guérin
Version web: Stéphanie Jaquet
Un traitement très ancien
Au IVe siècle, les médecins chinois utilisaient déjà ce qu'ils appelaient de la "soupe jaune" chez leur patientèle. En médecine occidentale le premier traitement à partir de microbiote fécal date de 1958 et concerne le traitement de l'infection à C difficile.
Depuis 2013, un essai clinique hollandais suivis par d'autres avec de très bons résultats a relancé l'intérêt pour la greffe fécale qui devient le traitement recommandé pour cette maladie sévère.
Actuellement deux patientes ou patients par mois sont traités par transfert de microbiote fécal au CHUV. Soit en prenant 40 gélules sur deux jours, soit en injection semi-liquide par colonoscopie.
Un nouvel essai clinique impliquant neuf hôpitaux en Suisse avec 200 patients sur quatre ans démarre en ce début d'année 2022.
Volontaires pour le don
Pour le don de selles, les volontaires de moins de cinquante ans, personnes non-fumeuses, peuvent écrire à cette adresse: min.tmf@chuv.ch
Tenir compte des critères suivants: poids normal, en bonne santé habituelle, sans prise de médicaments, sans voyage en pays tropical depuis un an, sans prise d’antibiotiques depuis six mois, sans antécédents de cancer colo-rectal dans la famille.