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Des scientifiques font repousser la patte d'une grenouille

La chronique des sciences (vidéo) - La régénération des membres et des organes
La chronique des sciences (vidéo) - La régénération des membres et des organes / La Matinale / 4 min. / le 7 février 2022
Faire repousser la patte d'une grenouille est une prouesse, car si plusieurs animaux sont capables de ce type de régénération, cet amphibien n'en fait pas partie. Mieux comprendre ces mécanismes permettrait peut-être, un jour, de les appliquer à l'espèce humaine pour remplacer des membres ou des organes endommagés.

Les cerfs peuvent faire repousser leurs bois, les lézards leur queue ou une patte sectionnée, tout comme les salamandres ou les étoiles de mer. Même les têtards savent faire ce genre de choses, mais ça s'arrête à l'âge adulte.

En revanche, les êtres humains ne sont pas très doués pour ce genre de choses. Quoique. En dessous d'un certain âge, les enfants sont capables de régénérer le bout de leurs doigts: jusque vers 7 à 10 ans, s'il est sectionné, il repousse.

Notre espèce peut aussi régénérer son foie: pour autant que moins de la moitié soit enlevée, cet organe peut retrouver sa masse initiale et sa fonctionnalité, même si la forme n'est plus forcément tout à fait la même. Toutefois, hommes et femmes sont loin d'arriver à se faire repousser un bras ou un organe endommagé, d'où l'intérêt de comprendre ces mécanismes chez les autres espèces pour peut-être un jour y parvenir.

Eviter la cicatrisation au profit de la régénération

La première réaction du corps, lorsqu'il est blessé, est de cicatriser pour éviter de s'infecter ou de perdre trop de sang.

Le biodôme reproduit un environnement de type amniotique qui, associé aux médicaments appropriés, permet au processus de reconstruction de se dérouler sans l'interférence du tissu cicatriciel. [Tufts University - Nirosha Murugan]
Le biodôme reproduit un environnement de type amniotique qui, associé aux médicaments appropriés, permet au processus de reconstruction de se dérouler sans l'interférence du tissu cicatriciel. [Tufts University - Nirosha Murugan]

Pour faire repousser la patte de la grenouille – une Xenopus laevis en latin, une Xénope lisse ou Dactylère du Cap en français –, les scientifiques ont cherché à inhiber le processus de cicatrisation et à persuader les cellules que tout allait bien et qu'il fallait se mettre en mode repousse, explique Michael Levin, grand spécialiste du domaine, dans le New Yorker.

Pendant 24 heures après l'amputation, l'équipe a appliqué sur la blessure un biodôme, soit un capuchon rempli d'hydrogel et d'un cocktail de substances connues pour leurs propriétés régénératives. Ce dispositif "reproduit un environnement de type amniotique qui – associé aux médicaments appropriés – permet au processus de reconstruction de se dérouler sans l'interférence du tissu cicatriciel", selon la Tufts University.

Il a ensuite fallu patienter mais, en un an et demi, la grenouille a fait repousser une structure avec des nerfs, des muscles, des os, ainsi que quelque chose qui ressemble à des doigts de pied. Une sorte de jambe, qui n'était pas parfaite esthétiquement, mais fonctionnelle, puisqu'elle répond aux stimuli externes et permet à l'amphibien de nager efficacement.

Se décapiter, comme une limace de mer

Beaucoup de scientifiques espèrent pouvoir un jour transposer des méthodes de régénération aux êtres humains, la question étant plutôt de savoir quand cela sera possible et avec quelle approche. Parmi les pistes, trafiquer des interrupteurs génétiques, injecter des cellules souches ou utiliser des bio-imprimantes 3D.

Certaines espèces sont des virtuoses dans ce domaine et intéressent beaucoup la science. Il existe par exemple un nudibranche, une sorte de limace de mer, qui s'autodécapite – peut-être pour se débarrasser de parasites – et fait repousser son corps à partir de sa tête, y compris son cœur, dont elle arrive apparemment à se passer pendant quelques jours. Ce processus s'appelle une autotomie. Après trois semaines, le mollusque est à nouveau entier à 80% et a produit une réplique parfaite de son ancien corps, ont indiqué des scientifiques japonais dans une étude.

>> Une vidéo du nudibranche Elysia marginata régénérant tout son corps et son cœur après l'avoir autotomisé à partir de sa tête:

Le nudibranche Elysia marginata fait repousser tout son corps
Le nudibranche Elysia marginata fait repousser tout son corps / L'actu en vidéo / 2 min. / le 7 février 2022

Les hydres, ces petits polypes d'eau douce, ou les planaires, des vers plats de deux centimètres, peuvent pour leur part faire repousser à peu près n'importe quelle partie d'eux-mêmes, y compris la tête.

Outre le fait que cela signifie que ces animaux sont quasi immortels, puisqu'ils peuvent constamment remplacer les pièces défectueuses, ce processus suggère qu'aucune partie du corps n'est essentielle à la survie immédiate et que l'information nécessaire à faire repousser le tout se trouve partout.

Vertigineuse existence

Pour les êtres humains, qui sont tellement focalisés sur le sacro-saint cerveau, c'est assez vertigineux. Et on peut s'interroger sur ce que la nouvelle tête de l'hydre sait, au juste, des tribulations passées de son corps.

On n'en a pas la moindre idée, mais des études indiquent notamment que, même si le cerveau de la chenille est complètement liquéfié au cours de sa métamorphose en papillon, certains souvenirs sont préservés.

Et chez le vers planaire, qui, quand on le coupe en deux, fait repousser deux nouveaux vers... qui est qui? A plus forte raison quand on le coupe en 279, le record. D'autant plus que, d'après Michael Levin, les nouveaux vers peuvent avoir des personnalités différentes.

Sujet radio: Lucia Sillig

Version web: Stéphanie Jaquet

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