"Les virus contredisent les dogmes, ils ne respectent pas les règles", affirme Philippe Le Mercier. "Ils ressemblent à des extraterrestres au niveau biologique, c'est-à-dire qu'ils fonctionnent vraiment très différemment des cellules".
Voilà le décor posé: les virus sont vraiment particuliers. Le virologiste travaille à l'Institut suisse de bioinformatique et fait de la recherche fondamentale. Il explique que ces entités bousculent nombre de dogmes en biologie, comme le fait que le support génétique est habituellement l'ADN: certains virus utilisent l'ARN. "Les virus explosent tout ça! Ils nous en apprennent énormément en ne respectant pas les règles: ça nous permet de comprendre comment elles fonctionnent au niveau de la biologie moléculaire".
"Leur grande diversité, leur souplesse génétique, ça m'a fasciné". Depuis 30 ans, Philippe Le Mercier a le nez dans les virus et pour lui, les virus ne sont pas juste là pour nous pourrir la vie: il ont un rôle. Ils composent par exemple 5 à 8% du génome de l'espèce humaine.
Un virus en particulier a aidé les mammifères à évoluer: un rétrovirus s'est intégré à leur ADN et a rendu possible la création d'un placenta. Cela a permis une évolution, un perfectionnement de la gestation: la reproduction a depuis lors pu se faire sans devoir pondre des œufs ou posséder une poche comme les marsupiaux.
Une photosynthèse animale grâce à un virus
Un autre exemple surprenant est celui de l'Elysia chlorotica, plus communément appelée Elysie émeraude, un cas unique dans le règne animal. Il s'agit d'une espèce de gastéropode marin capable de réaliser la photosynthèse.
Cette limace aquatique se nourrit de lumière grâce à ses chloroplastes, de petites usines qui produisent de l'énergie, comme dans une plante: "Sous forme adulte, l'animal ressemble à une feuille verte. L'Elysia perd même sa bouche et son système digestif, puisqu'elle se nourrit de lumière. Mais ça reste un animal, ce n'est pas une plante", souligne Philippe Le Mercier.
"Quand elle naît, elle n'a pas de chloroplastes. Elle va manger des algues qui en contiennent, les absorbe dans ses cellules et, dès lors, va pouvoir passer au stade où elle est capable de faire de la photosynthèse".
Pour réaliser cette prouesse, l'Elysia est aidée par un virus: "Mettre ces chloroplastes végétaux dans des cellules animales n'est pas simple, puisque la cellule végétale, elle, possède des gènes qui lui permettent d'entretenir le chloroplaste qui, sinon, meurt".
Et comme une cellule animale n'a pas cette capacité, l'Elysia chlorotica a acquis ses gènes via des rétrovirus: "En séquençant son génome, on s'est aperçu que tous les gènes qui permettent de faire fonctionner les chloroplastes dans ses cellules sont entre des séquences de rétrovirus. En d'autres termes, des virus ont permis à cette limace d'évoluer et de pouvoir capturer ces chloroplastes et faire de la photosynthèse. Donc l'Elysie émeraude n'existerait pas si les virus ne lui avait pas permis d'évoluer dans ce sens".
Evolution effrénée et très différenciée
Les virus existent vraisemblablement depuis le début de la vie: "Ils évoluent depuis des milliards d'années et à un rythme effréné par rapport à la réplication d'une cellule. Autant dire que le nombre de générations des virus qu'il y a, depuis l'apparition de la vie sur Terre, est complètement colossal. Cela explique qu'ils ont une biochimie presque plus évoluée que celle des cellules".
Les virus possèdent des gènes et, comme toute vie sur notre planète, ils cherchent à se reproduire et évoluer. Comme ils sont très petits, "leur version de l'évolution est même la plus simple et la plus efficace", selon le chercheur.
Et le but d'un virus n'est pas de nous rendre malades, contrairement à ce qu'on pourrait croire: "C'est plutôt un accident. En général, il n'a pas du tout intérêt à tuer son hôte. Sinon, au bout d'un moment, il n'a plus moyen de se reproduire".
Pour combattre un virus, un vaccin peut s'avérer très compliqué à créer à cause des mutations, et aussi à cause de la grande biodiversité de la virosphère: "Elle est bien supérieure à tout ce qu'on connaît sur Terre! C'est ça qui empêche de faire quoi que ce soit d'universel contre les virus".
SIDA, coronavirus, variole...
Et de prendre pour exemple le virus du SIDA, le HIV, ou le SARS-CoV-2: "Ce sont des organismes, des entités génétiques, qui sont très très éloignés entre eux, plus éloignés que nous le sommes d'une bactérie. D'ailleurs, il n'y a pas forcément un ancêtre commun à tous les virus. On pense à un ancêtre commun pour toutes les cellules, mais pas pour les virus. Faire un médicament ou un vaccin universel qui pourrait éradiquer tous les virus est donc impossible, puisqu'ils fonctionnent de façons complètement différentes".
Et le SARS-CoV-2, puisqu'on le mentionne... saviez-vous que c'est le plus gros virus à ARN connu des scientifiques? Ce qui lui donne beaucoup plus de plasticité génomique qu'un virus à ADN. Par conséquent, il mute plus facilement, car l'ARN est moins stable que l'ADN.
En mutant, un virus ne s'affaiblit pas forcément! Un virus un peu abîmé par une congélation, suivie d'une décongélation et d'une recongélation, peut même se renforcer, comme c'est le cas pour celui de la variole. Mais ça, c'est une autre histoire... Et pour la connaître, il faut écouter Micro Science.
Sujet radio: Huma Khamis
Version Web: Stéphanie Jaquet