Noémie (prénom d’emprunt), 24 ans, s'est fait opérer des seins en choisissant son chirurgien sur Instagram, alors qu’il avait posté en toute légalité quelques photos de son travail. "Je suis venue faire une augmentation mammaire, je me sentais vide dans le haut de mon corps", explique-t-elle.
Comme elle, de plus en plus de jeunes ont recours à des interventions esthétiques et savent exactement ce qu'ils veulent, souvent même avant d’avoir franchi la porte du cabinet. En effet, nourris par les réseaux sociaux, les 18-34 ans sont plus exigeants et mieux informés que leurs aînés pour se forger un corps correspondant à leurs idéaux.
Chirurgie ou médecine esthétique?
"Combien de fois on m’a dit: je veux ci, je veux ça! Mais ce n'est pas toujours possible, on ne peut pas se calquer sur des photos. Il y a des choses qu'on n’arrive pas à faire", raconte Serge Lee-hu, chirurgien plasticien à Lausanne.
A la différence de la chirurgie, c’est la médecine esthétique qui est devenue à la mode avec les interventions au laser, les injections ou encore les peelings. Ces méthodes ont révolutionné le marché et les coûts ont baissé, attirant désormais les plus jeunes.
Pour Francesco Panese, professeur de sociologie des sciences à l'Université de Lausanne, ce basculement des âges est la principale information à retenir. De premières études sociologiques traitent des problèmes liés à la chirurgie esthétique depuis environ 20 ans. Et aujourd'hui, "ce qui surprend, c'est la dimension normative. Les gens arrivent avec des images, des photos. C'est cette idée qu'il faille toujours ressembler à quelqu'un, à quelque chose", note-t-il. Il s'agit désormais de se demander: pourquoi?
Le poids des algorithmes
En majorité, les jeunes consultent pour avoir la peau la plus lisse possible. Selon Serge Lee-hu, cela s'explique par les filtres sur les réseaux sociaux. "L’autre demande qui est importante, c’est de refaire l’ovale du visage. C’est une mode qui a été très mise en avant sur les réseaux sociaux, et maintenant avec les injections, on arrive à refaire le contour du visage pour le rendre plus triangulaire", ajoute-t-il.
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Francesco Panese évoque également les nouvelles technologies pour expliquer en partie cette évolution. "Je crois qu'il est lié à la vie quotidienne d'aujourd'hui, à la 'zoomification' des rapports sociaux", dit-il. Et d'évoquer également les fameux filtres Instagram: "Ils permettent de se transformer d'une manière technologiquement admirable mais psychologiquement un peu perturbante. Ces filtres sont très impressionnants. Les informaticiens qui sont derrières les alimentent avec des désirs et avec des modèles", comme des actrices ou des chanteuses connues par exemple. Ce qui amplifie les désirs de ressemblance.
Attention à l'arnaque
Mais les interventions ne sont pas sans danger, notamment quand elles sont proposées par des personnes qui n’y sont pas formées. En France, la profession a alerté contre de prétendus cosmétologues sur internet qui cherchent à appâter les jeunes avec des influenceuses et des prix au rabais.
"La communauté professionnelle est très partagée", souligne enfin Francesco Panese. "Il y a des gens qui font de la réparation et il y en a d'autres qui font de l'adaptation à des normes."
Et dans cet énorme marché, le sociologue dénonce particulièrement certains "entrepreneurs de la chirurgie esthétique", qui se font un peu passer pour "des sortes de psychologues de l'adaptation à l'époque contemporaine". Et en agissant ainsi, "ils contreviennent sans aucun doute à la déontologie de leur métier", estime-t-il.
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Reportage de Virginie Langerock
Adaptation web: Andreia Portinha Saraiva/jop
Refuser les jugements moraux
"En préparant cette interview, j'ai entendu pas mal d'arguments moraux" autour de cette évolution de la société. "Mais il y a toujours une sorte de réponse à une souffrance. Même si les témoignages sont très enjoués, qu'ils parlent librement des opérations subies, on a quand même l'impression qu'il y a un fossé entre ce que l'on est et ce que l'on aimerait être", prévient Francesco Panese.
Le spécialiste rappelle que, dans son histoire, la chirurgie esthétique a été essentiellement réparatrice. "Et je pense qu'elle l'est toujours dans le contexte actuel. Puisqu'elle permet en quelque sorte une adéquation entre la personne telle qu'elle se perçoit et telle qu'elle paraît", dit-il. Par conséquent, "ça ne sert à rien de stigmatiser les personnes qui y recourent."
Selon lui, le problème vient de la standardisation. "Lorsque des normes, des modes ou des contraintes viennent se glissent là au milieu. "Si la chirurgie permet de combler une faille entre ce que l'on est et ce que l'on paraît, si l'on se met à paraître des normes de beauté extérieures, finalement on n'est plus soi-même."