ÉPISODE 1 - L'arrivée des psychédéliques dans les laboratoires
En Suisse, cela fait longtemps que des médecins, principalement des psychiatres, ont initié des recherches sur les psychédéliques. Tout a commencé avec la découverte fortuite du LSD par le chimiste bâlois Albert Hofmann, substance commercialisée par le groupe Sandoz. En 1966, la Californie a interdit le LSD. Elle sera suivie par l'ensemble des Etats-Unis, puis en 1971 par les autres pays du monde. Trente ans plus tard, la recherche va reprendre, notamment en Suisse où elle avait perduré, mais de façon très confidentielle.
Au début des années 2000, une étude en psychiatrie a fait la Une des journaux américains et relancé l'intérêt des scientifiques et du public pour ces substances. "Ça a pris très longtemps, car il y avait énormément d'obstacles administratifs. Il a fallu convaincre le régulateur de la pertinence de ces études, qu'elles n'étaient pas dangereuses", raconte Stéphanie Chayet.
La journaliste au Monde, basée à New-York et auteure de Phantastica: ces substances interdites qui guérissent, explique qu'une étude de la New York University sur la dépression chez les malades du cancer en phase terminale a obtenu des résultats "très spectaculaires": 83% des patients ont vu leurs symptômes d'anxiété et de dépression diminuer significativement après une seule dose de psilocybine.
Lutter contre la dépression
"On n'avait jamais vu ça en psychiatrie", s'exclame Stéphanie Chayet. "Le plus incroyable, c'est qu'une étude suivie de ces patients a montré une certaine persistance de l'effet thérapeutique cinq ans après le traitement." Les équipes de recherches ont choisi la psilocybine, substance hallucinogène présente dans certains champignons, pour éviter de réveiller les "démons" liés à l'usage récréatif du LSD.
La molécule fait l'objet de nombreuses études aux Etats-Unis, principalement pour calmer les angoisses et la dépression. Elle a d'ailleurs été autorisée dans plusieurs villes de Californie. "La psychiatrie n'a pas trouvé de nouvelle molécule depuis l'avènement du prozac, il y a près de 40 ans", note Stéphanie Chayet. "On manque d'outils, alors que la dépression est devenue la première cause d'incapacité dans le monde, selon l'OMS. Il est donc devenu urgent d'innover."
ÉPISODE 2 - L'utilisation de la psilocybine
La journaliste a, elle-même, eu recours à la psilocybine, alors qu'elle venait d'apprendre qu'elle était atteinte d'une tumeur au sein: "Je n'ai pas pu participer à un essai thérapeutique, parce que les études sur les malades du cancer étaient terminées. J'ai donc été contrainte de recourir à des voies plus souterraines."
L'expérience est difficile à raconter, explique Stéphanie Chayet. "C'est l'une des caractéristiques de l'expérience psychédélique, selon les chercheurs. Car on a une grande difficulté à mettre des mots sur ces voyages qui sont extrêmement différents d'une personne à l'autre."
La journaliste indique qu'il est plus facile de parler des effets concrets. "Ces voyages m'ont rapprochée de la nature, aidée à apprivoiser l'idée de la mort, ainsi la perspective de retomber malade ne m'a plus angoissée."
Utilisation très encadrée en Suisse
Il s'agissait d'une expérience réalisée hors du cadre médical. Mais dans les essais cliniques qui sont en cours, le protocole veut que la prise se fasse lors d'une séance assistée par un ou plusieurs thérapeutes qui utilisent de la psilocybine synthétique - fabriquée en laboratoire - sous forme de gélule. En Suisse, des programmes de psychothérapie assistée sont menés à Bâle, à Zurich ou encore à Genève.
"Nous avons commencé il y a deux ans. Les prescriptions se font sous une loi exceptionnelle", indique Daniele Zullino, professeur et médecin chef du service d'addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève. "Pour chaque patient, nous faisons une demande auprès de l'Office fédéral de la santé publique. (...) Une quarantaine de patients ont déjà participé à notre programme, et nous avons une liste d'attente tout aussi importante."
Concrètement, l'équipe thérapeutique va administrer deux doses de psilocybine à quelques jours d'intervalle, et suivre les patients durant plusieurs jours après leur "trip". "Ces substances changent quelque chose dans le fonctionnement du cerveau qui tient plusieurs jours", décrit Daniele Zullino. "C'est la grande différence avec les anti-dépresseurs classiques qu'on doit donner plusieurs fois pendant des semaines, voire des mois."
ÉPISODE 3 - Rencontre avec Peter Gasser, pionnier de la médecine psychédélique
Depuis plus de trente ans, le psychiatre soleurois Peter Gasser travaille avec des substances psychédéliques. Après une première étude pilote sur le LSD, initiée en 2008, il s'apprête à publier ses résultats de recherche menés sur quarante patients souffrants de troubles anxieux pour qui les thérapies classiques n'ont pas eu d'effets.
Pendant quatre ans, le Dr Gasser et son équipe ont tenté de déterminer l'efficacité d'une psychothérapie assistée par le LSD par rapport à un placebo en leur administrant de la drogue trois ou quatre fois par an. Les résultats sont concluants, et surtout rassurants. "Nous n'avons pas eu d'effets secondaires graves comme des suicides ou des états psychotiques", explique-t-il.
En marge de ces traitements psychédéliques pour lesquelles Peter Gasser a obtenu des autorisations exceptionnelles de l'Office fédéral de la santé publique, il travaille avec des substances plus classiques comme des anxiolytiques ou des antidépresseurs.
ÉPISODE 4 - MDMA et pharmahuasca, de nouveaux venus dans les psychédéliques
La MDMA, molécule de synthèse également composante de l'ecstasy, a montré des effets positifs pour soigner le stress post-traumatique lors d'une thérapie assistée. Ils sont tellement positifs que le Ministère américain des anciens combattants a récemment décidé d'en distribuer aux vétérans qui désireraient participer à des essais thérapeutiques, ouvrant la voie à une prochaine mise sur le marché.
Malgré la controverse autour de sa neurotoxicité, cette molécule qui provoque l'empathie est également exceptionnellement autorisée en Suisse pour traiter des patients dans le cadre d'une thérapie assistée par MDMA. Selon le psychiatre soleurois Peter Gasser, elle pourrait être autorisée plus largement ces prochaines années en Suisse. Mais tous les médecins sont formels: pour être bénéfiques aux patients, l'expérience psychédélique doit être correctement encadrée.
Commerce autour de l'ayahuasca
C'est la raison pour laquelle il y a une méfiance pour les expériences qui fleurissent actuellement autour d'une autre molécule très en vogue: l'ayahuasca, une plante exotique dont l'une des substance active est le DMT.
A Zurich, un groupe de recherche a entamé des essais sur une substance standardisée appelée pharmahuasca. Une recherche est également menée en Amérique du Sud où de nombreux occidentaux se rendent pour effectuer des voyages chamaniques sans encadrement médical. Tout un commerce s'est d'ailleurs développé autour du pouvoir hallucinogène de l'ayahuasca, par exemple au Brésil où la substance est légale.
Aux Etats-Unis, un business sous-terrain s'est développé ces dernières années autour de la psilocybine avec une dimension récréative, mais aussi une dimension thérapeutique où les entrepreneurs tentent de reproduire les conditions développées lors des essais cliniques.
ÉPISODE 5 - Les avancées de la recherche, un business pour les start-up et big pharma
Depuis l'arrivée du Prozac dans les années 1990, la psychiatrie n'a pas connu de véritables avancées, d'où l'intérêt récent de la pharma pour la médecine psychédélique pour laquelle les résultats sont encourageants, s'ils sont administrés dans de bonnes conditions.
Ce sont précisément ces conditions que pourraient tenter de breveter les entreprises qui voyaient dans un premier temps d'un mauvais oeil la reprise de la recherche, puisqu'elles n'avaient rien à y gagner.
Vendre clé en main une substance standardisée et une expertise en matière d'accompagnement, telle est l'idée des entrepreneurs qui attendent impatiemment l'autorisation de la mise sur le marché de ces molécules.
Pour Daniele Zullino, professeur et médecin chef du service d'addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève, cette étape est peut-être inévitable si on veut, un jour, démocratiser la médecine psychédélique.
Sophie Iselin/vajo