Sommeil, santé mentale et fragilité des plus vulnérables, une canicule pesante au quotidien
Des records de chaleur sont attendus en Europe cette semaine: le Royaume-Uni a activé pour la première fois le niveau d'alerte rouge, tandis qu'en France, la Bretagne est également pour la première fois de son histoire en vigilance rouge.
En Suisse, la température pourrait monter jusqu'à 38 degrés, avec une alerte de niveau 3 d'ores et déjà déclarée en Suisse romande et au Tessin.
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Nouveaux-nés et personnes âgées: surveillance accrue
Ces fortes chaleurs ne sont pas sans conséquences pour la santé. D'une part, elles mettent très directement en danger les plus vulnérables, dont les personnes âgées et les nouveaux-nés. Il faut particulièrement prendre soin à ce que ceux-ci soient toujours hydratés et surveiller leur état de santé général.
Une campagne de prévention a été lancée en Suisse sur le sujet, ciblant prioritairement les jeunes, pour les inciter à prendre soin de leurs grands-parents. Une manière aussi de recréer du lien intergénérationnel.
Vaud et Genève ont ainsi réactivé lundi leur dispositif canicule, visant notamment les institutions sanitaires (hôpitaux, EMS...) pour qu'elles renforcent la protection de leurs patients, ainsi que les communes pour qu'elles mettent en place des visites à domicile des personnes les plus vulnérables et/ou organiser des prises de contact téléphoniques.
Travail en extérieur: eau, crème solaire et pauses à l'ombre
Cette chaleur extrême est également difficile à supporter pour celles et ceux qui travaillent en extérieur, et en premier lieu sur les routes ou les immeubles en travaux. Les entreprises ont le devoir de fournir de l'eau, de la crème solaire et des pauses à l’ombre, mais ces mesures ont de la peine à être respectées.
L’arrêt forcé des chantiers si le mercure monte à 35 degrés est aussi difficile à faire respecter à cause de la pression des délais: chaque jour de retard engendre une pénalité de plusieurs milliers de francs aux entreprises.
Manque de sommeil: un trouble toujours plus fréquent
Les fortes chaleurs contribuent aussi à écourter davantage le sommeil, qui a déjà diminué ces dernières décennies. Car la régulation du sommeil et celle de la température sont deux processus "intimement liés", en lien avec le rythme circadien, souligne la pneumologue et somnologue Sandra Van den Broecke lundi dans La Matinale.
"Tous les soirs, le corps abaisse sa température pour favoriser l'endormissement", explique-t-elle. Or, en cas de canicule, cette opération est plus difficile. "Ce qui explique que, quand il fait très chaud, on ait plus de difficultés à s'endormir ou une impression de sommeil plus superficiel."
Une étude danoise publiée en mai présentait ainsi des résultats solides sur l'impact des nuits chaudes sur le sommeil. En se basant sur plusieurs milliards de mesures effectuées sur un échantillon de 47'628 personnes dans 68 pays, et sur les données météo régionales, l'étude estimait que des températures nocturnes supérieures à 30 degrés font perdre environ 14 minutes de sommeil par nuit, soit une moyenne de 44 heures par année. Et d'ici la fin du siècle, les températures pourraient éroder le sommeil de 50 à 58h par année, avec des inégalités socioéconomiques et géographiques grandissantes.
Une perte de sommeil liée à la canicule de seulement 14 minutes, cela peut sembler anodin. "Mais ça s'ajoute à toute une série de facteurs qui font que l'on dort moins depuis 50 ans, et qui augmentent le risque de maladies du sommeil", rappelle Sandra Van den Broecke, qui relève que, depuis une dizaine d'années, les troubles du sommeil sont un motif de consultation médicale de plus en plus fréquent.
Et la dette de sommeil est associée à de nombreux troubles ou pathologies. Les spécialistes évoquent de possibles altérations des fonctions cognitives, comme la mémoire et l'attention. Elle affecte aussi le système immunitaire et la fonction cardiovasculaire, et peut favoriser l'apparition de troubles métaboliques comme l'obésité ou le diabète. Enfin, de mauvaises nuits peuvent aussi avoir un impact sur le moral et la santé mentale, provoquant davantage de dépression ou d'irritabilité, note encore la chercheuse.
Santé mentale: un effet moins connu, mais tangible
Moins connues, moins tangibles, les conséquences du changement climatique sur la santé mentale préoccupent les spécialistes. Diverses études ou synthèses ont déjà été conduites sur le sujet. En Suisse, concernant spécifiquement les fortes chaleurs, une étude de l'université de Berne, menée sur des données de 1995 à 2016 et publiée cette année, a relevé une augmentation moyenne du risque de suicide d'environ un tiers lors de chaleurs extrêmes, en particulier chez les femmes et les jeunes.
Une précédente étude bernoise publiée en 2020 mesurait un risque légèrement accru d'hospitalisations pour des troubles mentaux, avec une augmentation régulière de 4% par tranche de 10 degrés sur une journée. Cet effet est surtout marqué chez les personnes qui sont déjà vulnérables au niveau psychiatrique ou qui présentent une maladie mentale.
D'après le professeur de médecine Thomas Müller, qui a contribué aux deux travaux, il est probable que la chaleur contribue à réduire leurs mécanismes de protections. La déshydratation peut également déséquilibrer certains traitements, comme ceux des personnes schizophrènes ou bipolaires.
Enfin, l'angoisse, la frustration et la colère face à l'inaction publique et politique - souvent qualifiée d'"éco-anxiété" - contribuent également à une diminution du bien-être psychologique, en particulier chez les plus jeunes. Et dans ce contexte, le consensus est clair parmi les scientifiques: il est temps d'informer les gens sur l'impact de la chaleur et du changement climatique sur la santé mentale.
Sujets radio: Karine Vasarino et Pauline Rappaz
Texte web: jop/boi