L'"Aspirine" est d'abord une marque qui est devenue le médicament le plus populaire du XXe siècle, devenant ainsi "de l'aspirine", avec une minuscule. Une consécration pour ce petit cachet blanc inventé il y a 125 ans. Il faudrait en somme parler d'acide acétylsalicylique, le nom de sa molécule.
L'aspirine, un carton!
Il est estimé que, chaque seconde, 2500 comprimés d'aspirine sont produits, soit 40'000 tonnes par année: un médicament qui est entré dans le Guinness Book des records comme l'antalgique le plus consommé en 1950.
Un de ses composés naturels, l'acide salicylique, est même connu depuis l'Antiquité, ce qui en fait l'un des remèdes les plus anciens: "On connaissait un dérivé naturel qui est présent dans différentes plantes: la myrte, la saule et la Reine-des-prés", raconte Caroline Samer, médecin cheffe du service de toxicologie et de pharmacologie des Hôpitaux universitaires de Genève, et professeure de pharmacologie à l'Université de Genève.
"Il y a déjà plus de 4000 ans, les Sumériens connaissaient les vertus de l'écorce de saule comme anti-douleurs, anti-inflammatoire. Puis chez les Égyptiens, la notion de la saule se trouve dans le papyrus Ebers, un papyrus médicinal très connu [datant du XVIe siècle avant J.-C., pendant le règne d'Amenhotep Ier, ndlr.]. Hippocrate en a aussi parlé: il faisait des décoctions, des thés à base de feuilles de saule pour traiter les douleurs liées à l'accouchement", ajoute-t-elle.
Salicyline, acide salicylique, acide acétylsalicylique
La substance en question a été très étudiée et, dès le XVIIIe siècle, l'effet bénéfique des feuilles de saule blanc est formellement expérimenté sur la fièvre.
Mais son principe actif, la salicyline, ne sera isolé que plus tard par un médecin écossais: "C'est la première étude réalisée avec ce composé. Il a évalué – chez huit patients qui souffraient de rhumatisme articulaire aigu en leur donnant douze graines de salicyline toutes les trois heures – si cette salicyline avait un effet sur la fièvre et l'inflammation". La réponse fut positive et ses travaux ont été publiés dans le Lancet en 1876.
En 1899, deux ans après la synthèse de l'aspirine, un brevet a été déposé (lire encadré). C'est Felix Hoffmann, un chimiste de chez Bayer, qui a effectué cette transformation de l'acide salicylique, un élément qui pouvait poser des problèmes gastriques. Après une réaction de condensation, il transforme ce composé présent dans la Reine-des-prés en acide acétylsalicylique.
"Aspirine" vient de "a-" pour acétyl et "-spirine", pour le nom botanique de la fleur, Spirea ulmaria. Un mot qui entre dans le dictionnaire de l'Académie française dans les années 1930.
En revanche, ce n'est que bien plus tard que le fonctionnement de l'aspirine a vraiment été compris et décrypté. A partir des années 1970, les scientifiques découvrent que l'aspirine inhibe les médiateurs de l'inflammation que sont les prostaglandines. Mais aussi que le médicament a des propriétés anti-agrégante et, donc, fluidifie le sang: à petites doses, cela peut prévenir les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux chez les personnes à risque (lire encadré).
Sujet radio: Huma Khamis
Article web: Stéphanie Jaquet
Les quatre étapes que tout médicament doit suivre
Inventée il y a 125 ans, l'aspirine a été mise très rapidement sur le marché et s'est introduite dans tous les foyers: de nos jours, ce ne serait pas aussi rapide. La recherche et le développement de nouveaux médicaments suit des étapes que les industries pharmaceutiques se doivent d'observer à la lettre.
La première étape est préclinique: le médicament est testé sur des cellules in vitro puis chez des animaux. Là, il est défini si le médicament est efficace mais surtout s'il est toxique. Si la molécule semble efficace et bien tolérée, les premiers essais cliniques débutent chez l'être humain. C'est à cette étape que les remèdes peuvent obtenir un brevet qui va durer 20 ans.
Phases de tests
Puis le développement des médicaments chez l'être humain suit quatre phases. La phase I teste la substance chez des personnes en bonne santé, souvent des volontaires sains. Le but est de voir comment le médicament se comporte dans l'organisme.
La phase II détermine l'efficacité du médicament chez un peu plus de personnes. La phase III est celle où le médicament est réellement testé chez des patientes et patients dans des situations qui se rapprochent de la vie réelle. Le médicament est comparé soit à un placebo, soit au traitement standard et une étude randomisée, contrôlée, en double aveugle est effectuée.
Viennent ensuite les études de phase IV qui constituent la surveillance après commercialisation: la pharmacovigilance observe de près les effets indésirables, qu'ils soient rares ou arrivant lentement, par exemple.
L'aspirine augmenterait le risque de chutes chez les seniors
Selon une étude publiée lundi, menée en Australie auprès de 16'000 personnes âgées, la prise d'aspirine augmenterait le risque de chutes chez les personnes âgées.
"Cette étude démontre de façon très solide que prendre de l'aspirine lorsqu'il n'y a pas d'indication, à titre préventif, non seulement n'apporte pas de bénéfice en termes de fractures, mais entraîne plutôt une petite tendance à l'augmentation du risque de chutes dites sérieuses ", explique Christophe Bula, médecin chef du Service de gériatrie du CHUV.
Cette étude a été menée avec des personnes en bonne santé prenant le médicament préventivement, pas celles qui en ont vraiment besoin: "C'est un message important à donner: cette étude a inclu des personnes âgées qui n'avaient aucune des maladies pour lesquelles on prescrit actuellement de l'aspirine. Les gens qui prennent de l'aspirine parce qu'ils ont une maladie cardiovasculaire ou cérébrovasculaire peuvent être rassurés: ils ne sont pas concernés", précise-t-il au micro du 12h30.
Le médecin ajoute encore qu'il n'existe aucune preuve qu'on puisse améliorer son état de santé en prenant de l'aspirine de façon préventive: "On a un certain nombre d'évidences pour dire qu'on se fait probablement du mal".