Le Lepista flaccida – c'est son nom scientifique – est commun sous nos latitudes, comestible mais plutôt insipide. Et ce champignon contient une molécule prometteuse, la 2,6-diaminopurine (DAP), qui pourrait être efficace contre les maladies génétiques rares et en particulier la mucoviscidose, la phathologie génétique rare la plus fréquente. Pour rappel, celle-ci affecte les cellules qui produisent le mucus, la sueur ou les sucs digestifs: ces fluides deviennent épais, collants, et bouchent les différents canaux ou les voies respiratoires.
Une équipe de recherche française vient de publier ses résultats dans le journal Molecular Therapy: elle a testé ce principe actif dans différents modèles expérimentaux de la maladie. L'enzyme du clitocybe inversé agit sur une mutation particulière, dite mutation non-sens de la mucoviscidose (lire encadré): celle-ci modifie une séquence d'ADN de telle manière qu'elle ne peut pas coder la protéine voulue qui, par conséquent, est dysfonctionnelle.
Dans 10% des cas de mucoviscidose, les traitements ne fonctionnent pas à cause de cette mutation non-sens: "La molécule n'a pas encore été testée chez l'Homme, mais on sait comment elle peut agir au sein de la cellule", remarque Fabrice Lejeune chercheur INSERM au sein d'OncoLille, l'institut de cancérologie de Lille qui regroupe différents organismes dont le CNRS, l'Université de Lille, l'Institut Pasteur ou encore le CHU Lille.
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Masquer la mutation et effacer ses conséquences
"Cette molécule a été purifiée à partir du champignon Lepista flaccida: elle masque la mutation non-sens et elle efface ses conséquences, ce qui permet de restaurer une protéine à la bonne taille et fonctionnelle, en tout cas dans les modèles que nous avons testés", explique le premier auteur de l'étude au micro de CQFD.
La molécule DAP a été testée chez des souris, sur le gène CFTR responsable de la mucoviscidose: "On a obtenu une restauration fonctionnelle de ce canal CFTR en donnant à ces souris, tous les jours, oralement, la DAP. On l'a aussi testée sur des cellules de patients atteints de mucoviscidose et sur des organoïdes, soit des cellules qui s'assemblent pour mimer les caractéristiques d'un organe. Et, chaque fois, nous avons obtenu une restauration de l'expression du canal CFTR, mais aussi une restauration fonctionnelle de celui-ci", souligne-t-il.
Concrètement, les souris n'exprimaient plus les symptômes de mucoviscidose: "On a effacé un certain nombre de caractéristiques. Chez les souris, il y a une mortalité qui est liée à l'absence du canal CFTR et on a réussi, en nourrissant les mères à permettre de sauver des embryons in utero. Nous avions beaucoup plus de naissances de petits avec la mutation, par exemple. Ensuite, on a continué le traitement sur ces nouveaux-nés."
Une bibliothèque très spéciale
Une nouvelle perspective thérapeutique qui a vu le jour grâce à de longues recherches sur les mutations non-sens. Fabrice Lejeune a découvert le clitocybe inversé en 2012 grâce à la Chimiothèque et Extractothèque du Muséum d'Histoire naturelle de Paris, une bibliothèque de micro-organismes.
Au départ, le chercheur n'avait aucune idée que ce champignon pouvait être d'une quelconque utilité: "On a procédé par criblage: un test un peu à l'aveugle de milliers de composés chimiques. Je suis parti de 20'000 extraits de plantes, de micro-organismes et de champignons et un seul nous a donné une activité". C'est ainsi qu'ont été identifiées les propriétés encourageantes du Lepista flaccida.
Les mutations non-sens existent dans d'autres maladies rares; à l'avenir, chercheuses et chercheurs pensent que cette molécule pourra servir pour combattre d'autres pathologies.
Sujet radio: Sarah Dirren
Article web: Stéphanie Jaquet
Les mutations non-sens et les maladies génétiques
L’ADN est constitué de molécules organiques, les nucléotides, qui codent les acides aminés impliqués dans la synthèse des protéines nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme.
En pratique, les mutations non-sens introduisent un "codon stop" au niveau du gène muté, c’est-à-dire une séquence de nucléotides qui conduit à un arrêt prématuré de la synthèse de la protéine correspondante. Dès lors, la protéine n’est plus fabriquée, entraînant l’apparition des symptômes cliniques de la maladie.