L'enjeu est crucial, car la vaste majorité des personnes alcoolodépendante, 8 à 9 personnes sur 10, ne va pas chercher d'aide médicale, souvent à cause de la honte qui accompagne ce trouble, et du tabou qu’il représente.
Georges* (prénom d'emprunt), cadre bancaire, a compris qu’il avait un problème alors qu'il était en recherche d'emploi. Le chasseur de têtes qu'il rencontre à 9h00 du matin lui confie qu'il sent l'alcool. "Je me savonne la planche, je construis ma descente. Et là, je perds une dignité, la première dignité c'est l'image", témoigne-t-il dans le podcast Dingue de la RTS.
Une chute vertigineuse
C'est, pour Georges, le début d'une chute vertigineuse. Pendant des années sa vie était épanouie et sa consommation d'alcool tout à fait modérée. Mais une succession de quatre événements va tout changer: "ça a été un divorce, en même temps, un premier licenciement, puis le décès subit de ma mère, et enfin le fait de ne pas me passer en contrat à durée indéterminée après un troisième job temporaire. Et là on commence à sombrer".
Vous perdez sens de tout: de la réalité, de vos besoins physiologiques, de manger, de vous laver. On peut même dire d'aller aux toilettes
C'est en 2020, pendant la période de confinement, que la chute s'accélère: "vous avez les factures qui s'accumulent, vous ne voyez plus votre fille, les amis coupent les liens, vous êtes sur un banc dans votre village ou dans un centre commercial, puis vous buvez! Vous perdez sens de tout: de la réalité, de vos besoins physiologiques, de manger, de vous laver. On peut même dire d'aller aux toilettes". Suite à une décision du tribunal de protection de l'adulte à Genève, Georges est placé sous protection de l'Etat et pris en charge à l'unité de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG): il doit se soigner et il l'accepte.
La dépendance à l’alcool, ça se soigne?
Thierry Favrod Coune, actuel médecin responsable de l'Unité des dépendances aux HUG, explique que la prise en charge est toujours sur mesure: "il n'y a pas deux personnes qui aient la même histoire, ni la même personnalité et il n'y a pas deux relations thérapeute - patient qui soient identiques."
Mais il y a tout de même des pratiques qui sont communes dans toutes les prises en charge: "premièrement de comprendre ce que la personne vit et ce qu’elle a vécu pour en arriver là où elle est. Puis de l'accepter inconditionnellement sans aucune forme de jugement. Après, on essaie de faire grandir sa motivation à sortir d'une consommation néfaste pour elle".
Briser le mythe de la faiblesse
La croyance populaire est qu’une personne alcoolodépendante est toujours - d'une manière ou d'une autre - responsable de son addiction. Les recherches scientifiques permettent de largement atténuer cette opinion. Selon Thierry Favrod Coune, "des études génétiques montrent que le poids des gènes compte pour 50% dans la prédisposition à l'alcoolodépendance".
Des études génétiques montrent que le poids des gènes compte pour 50% dans la prédisposition à l'alcoolodépendance
L'effet que procure l’alcool et la tendance à en abuser ou pas est donc en partie déterminée par nos gènes. Pour les 50% restants, ce sont les événements vécus au fil de l'existence qui seront déterminants. Notamment les traumatismes, vécus à l'enfance ou, comme pour Georges, à l'âge adulte.
Plus une goutte d’alcool
Si l'abstinence n'est pas un dogme pour Thierry Favrod Coune, Georges n'a pas l’impression que, pour lui, la consommation contrôlée est une option. Depuis février 2022 il ne consomme plus une goutte d'alcool: "et je n'en ai pas besoin. J'ai aussi des contraintes juridico-médicales. Si je veux conserver le permis de conduire, il faut, pendant 2 ans, avoir des prises de sang où il n'y a pas une goutte d'alcool".
Depuis le mois de décembre dernier, Georges est libéré de sa curatelle et il voit à nouveau sa fille.
Des aspects positifs?
Malgré toutes les souffrances imposées à Georges par cette addiction, l'épreuve a augmenté sa capacité à s'émerveiller: "boire un café, se promener au bord du lac. Le sourire d'un enfant, c'est merveilleux! Je suis devenu peut-être plus attentif à mon environnement, aux gens, je suis plus bienveillant. Après, on n'est pas dans un monde de bisounours, je suis conscient de ce que j’ai vécu, mais je suis aussi content de tous les combats que j'ai menés".
Pour aller plus loin, consultez le site d'Addiction Suisse (aide, conseil, prévention).
Adrien Zerbini