En 2021, l'espérance de vie moyenne à la naissance en Suisse était de 81,9 ans pour les hommes et de 85 ans pour les femmes, selon les derniers chiffres publiés par l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).
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Loin d'être anodine, la limite de la longévité interroge l'humanité depuis longtemps. On aime célébrer les centenaires et noter les records en la matière. Le record actuel a été établi à 122 ans par la Française Jeanne Calment. Par ailleurs, nombre de scientifiques et de milliardaires transhumanistes cherchent aujourd'hui les secrets de la jeunesse éternelle.
Controverse scientifique
Mais est-il biologiquement possible de repousser toujours plus les limites de la longévité? Cette question, complexe, divise le monde de la recherche. D'aucuns estiment qu'il existe bel et bien une limite "naturelle" – qui se situerait aux alentours de 115 ans, selon une étude parue en 2016 dans la revue Nature – quand d'autres pensent qu'il sera toujours possible de grappiller, petit à petit, des mois puis des années de vie.
"Je ne pense pas qu'il y ait de limite absolue", estime par exemple Jean-Marie Robine, démographe et épidémiologiste à l'Institut français de la santé et de la recherche médicale (Inserm), interrogé dans l'émission Tout un monde.
"Dans l'immédiat, personne ne peut vivre jusqu'à 150 ans. Donc il y a une limite de fait. Mais ce n'est pas une limite qui peut durer éternellement. En 1800, personne ne pouvait vivre jusqu'à 110 ans, alors qu'il y a désormais de nombreux exemples à travers le monde. Ce qui n'est pas possible aujourd'hui le sera peut-être demain!"
Des limites qu'il est encore possible d'abattre
Toutefois, cette hausse de la longévité est récente à l'échelle de l'histoire humaine, rappelle Eric Gilson, directeur de l'Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement à la faculté de médecine de Nice: "Il n'y a pas si longtemps que ça, on vivait en moyenne 40 ou 50 ans. Ça veut dire que pendant toute l'évolution de l'espèce humaine, notre physiologie était adaptée pour avoir cette espérance de vie moyenne. C'est ça notre normalité. Et aujourd'hui, on vit plus longtemps parce qu'on vit dans une société qui est plus protectrice."
Pour ce biologiste, l'augmentation de l'espérance de vie est donc liée aux progrès scientifiques et à des facteurs socio-économiques qui ont permis de mieux s'adapter à notre environnement. Mais selon lui, ces éléments ne permettront pas de repousser éternellement les limites. Il s'agira surtout de réussir à vivre mieux et à vieillir en meilleure santé. Selon lui, l'enjeu aujourd'hui est davantage de comprendre certaines maladies, comme le diabète et son développement au niveau cellulaire, et plus généralement d'amener la population à 80 ou 100 ans sans trop de maladies lourdes.
Même si on maîtrise aujourd'hui beaucoup mieux certaines maladies cardio-vasculaires ou certains cancers, ce qui a permis de repousser leur mortalité, la médecine est confrontée à d'autres limites face au grand âge.
"Les médecins qui doivent prendre en charge les personnes âgées ne sont pas confrontés à des pathologies particulières, mais à une faiblesse généralisée, un défaut de résistance à tous les stress de la vie. Une maladie, une canicule, un virus qui semble anodin ou une chute dans un escalier; autant d’événements qui peuvent avoir des conséquences dramatiques", explique Jean-Marie Robine.
La vie éternelle, ce rêve pieux
Selon ce dernier, une fois qu'on aura compris comment dépasser cette grande fragilité, on pourrait encore faire avancer l'espérance de vie. Jean-Marie Robine reste toutefois très prudent: nous ne sommes pas immortels, même si certaines études démographiques laissent songeur.
Comme cette étude italienne parue dans Science en 2018, qui montre que le taux de mortalité augmente de manière exponentielle avec l'âge jusqu'à environ 80 ans, et ralentit ensuite pour plafonner à des taux de mortalité de 50% ou 60% à partir d'un certain âge.
"On tend vers une limite d'une chance sur deux de mourir dans l'année. Ce qui laisse une chance sur deux de survivre. Il y a des observations qui tendent à montrer qu'on atteindrait ce plateau vers 107 ou 110 ans", explique Jean-Marc Robine, qui a contribué à la création de l'International Database on Longevity pour étudier la question.
Survivre oui, mais sous quelle identité?
Ainsi, selon lui, grâce à l'effet de volume de la population, un nombre important de personnes pourraient ainsi survivre jusqu'à des âges très avancés. "Mais pour l’instant ça reste des taux de mortalité tellement élevés que, très vite, il n'y a plus d'observations" dans les panels étudiés, tempère-t-il. Il va donc falloir attendre... d'avoir davantage de supercentenaires pour pouvoir tirer des conclusions fiables des études démographiques.
Quant aux promesses transhumanistes d'allonger la vie ou d'augmenter les capacités intellectuelles et physiques de l'humain grâce à la technique, elles ne sont pour l'heure fondées sur aucune base scientifique concrète, souligne Eric Gilson.
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Blandine Lévite/jop