Il y a six mois, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié pour la première fois un catalogue de 19 champignons qui représentent une menace pour la santé publique.
Cette liste d'agents pathogènes fongiques a pour but d'orienter et de stimuler la recherche et les interventions politiques afin de "renforcer la réponse mondiale aux infections fongiques et à la résistance aux antifongiques", explique l'institution.
1,5 million de décès par an
Les maladies fongiques sont en progression partout sur la planète, mais l'attention qui leur est portée se concentre surtout sur des maladies bénignes, comme les mycoses de l'ongle ou du cuir chevelu. Or, les agents fongiques provoquent la mort de plus de 1,5 million de personnes par an.
Professeur spécialisé dans les maladies infectieuses à l'Université de Manchester, David Denning explique dans l'émission Tout un monde que les maladies fongiques sont souvent confondues avec d'autres maladies.
"La prise de conscience autour des maladies fongiques a été très lente. Beaucoup de patients ne sont pas pris en charge correctement. Par exemple, on pense qu'ils ont une tuberculose ou une infection virale, alors qu'ils ont des champignons. Nous avons besoin d'un meilleur accès aux diagnostics, d'une connaissance plus approfondie. Les médecins doivent penser aux maladies fongiques et demander les bons tests", précise le chercheur.
Des infections souvent intraitables
Certaines de ces infections sont intraitables et nécessitent de nouveaux médicaments, soulève David Denning. Une mission prise notamment en charge par l'organisation Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi), basée à Genève, et dont l'objectif est de développer des médicaments pour les maladies tropicales négligées, parmi lesquelles un champignon: le mycétome, qui figure sur la liste de l'OMS.
Ce champignon s'attrape généralement en marchant à pieds nus sur des épines d'acacias, explique l'ancienne directrice des maladies négligées à DNDi et actuelle responsable du Covid-19 Nathalie Strub Wourgaft. Plus de 20'000 cas sont par exemple recensés au Soudan, mais il se trouve aussi dans d'autres régions tropicales d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine.
"Cette maladie se propage très silencieusement et commence généralement par le pied. Si ce n'est pas traité, il y a d'autres lésions qui vont se développer sur la jambe. Le champignon va creuser les tissus, jusqu'à dévorer l'os. Le problème, c'est que nous n'avons pas de traitement pour empêcher une amputation", indique-t-elle.
Les médicaments utilisés plus généralement pour les maladies fongiques sont souvent toxiques pour l'organisme et ne sont pas toujours très efficaces. Le DNDi conduit en ce moment un essai clinique avec un nouvel antifongique pour le mycétome. Les premiers résultats semblent être concluants.
"Il existait déjà un autre médicament de référence, dont l'efficacité n'était pas très élevée. C'est un traitement que l'on donne deux fois par jour tous les jours pendant 12 mois et qui est très cher. Il cochait toutes les cases de ce qui n'est pas bon et ce qui est inacceptable pour des patients souvent très isolés et très pauvres", résume Nathalie Strub Wurgaft.
"L'intérêt de notre antifongique est d'être donné en une fois et une fois par semaine, après une dose de charge sur trois jours", annonce la scientifique.
Des champignons de plus en plus résistants
Parmi les autres champignons intraitables: le candida auris. Cet autre champignon listé par l'OMS dans la catégorie "Critical Priority Group" est une levure qui se développe sur la peau. Elle peut devenir mortelle quand elle s'insinue dans le système sanguin d'un patient immunosupprimé ou fraîchement opéré.
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D'abord observé en Asie et en Afrique du Sud, il s'est petit à petit propagé dans les hôpitaux américains et européens. Il est en partie résistant aux médicaments antifongiques disponibles. Cette résistance, d'une manière générale, augmente, selon David Denning.
"L'aspergillose (aussi sur la liste de l'OMS), par exemple, est une infection pulmonaire qui vient de spores que l'on respire. Comme nous répandons dans nos champs d'autres antifongiques, nous avons ce dommage collatéral - si l'on peut dire - avec des résistances au traitement de l'aspergillose. Ce taux de résistance augmente d'année en année en Europe de l'Ouest et en Asie du Sud-Est", constate le chercheur de Manchester.
Le réchauffement propice à la prolifération
Le réchauffement climatique aussi inquiète les spécialistes et inspire des séries comme "The Last of Us", sortie en début d'année, et qui met en scène un monde ravagé par une épidémie fongique qui transforme les humains en zombies.
De quoi faire dire à David Denning que les agents pathogènes fongiques pourraient évoluer avec le réchauffement global: "Certains d'entre eux pourraient se développer à des températures plus élevées, avec à la clé la possibilité d'avoir de nouvelles infections qui toucheront des personnes qui, autrement, n'auraient pas à s'inquiéter s'il n'y avait pas tous ces changements."
Francesca Argiroffo/jfe
Un domaine peu investi par la recherche et les entreprises
Si quelques nouveaux médicaments ont été récemment approuvés contre les maladies fongiques, le domaine reste généralement peu investi par la recherche et les entreprises pharmaceutiques. Selon David Denning, c'est aussi lié au fait que ces maladies restent très difficiles à combattre.
"Il y a un certain intérêt, mais c'est plus difficile de développer un traitement anti-fongique qu'un médicament antibactérien, parce que la biologie humaine de nos cellules est assez semblable à celle des champignons. On tend à créer des médicaments qui non seulement sont toxiques pour les champignons, mais aussi pour les personnes."
Voilà pourquoi accélérer le diagnostic de ces maladies, mieux les observer et mieux les comprendre pourrait éviter des infections et améliorer les stratégies de santé publique.