S'offrir un teint hâlé au risque de développer un cancer, le dilemme du bronzage
Le nombre de cancers de la peau pourrait doubler d'ici dix ans dans le monde, préviennent les dermatologues. Les campagnes de santé publique alertant sur les dangers du soleil se font de plus en plus nombreuses et notre rapport à l'ultra-exposition au soleil est train de changer. Sur les plages, on voit par exemple des enfants avec des t-shirts anti-UV.
L'efficacité de la prévention reste néanmoins encore à prouver, explique dans l'émission Tout un monde Olivier Gaide, médecin chef au service de dermatologie et de vénéréologie du CHUV: "On est persuadés que c'est une bonne chose que la prévention progresse. Mais le prouver va nécessiter des décennies."
"Imaginons que toute la génération des zéro à vingt ans ait été protégée, il va falloir attendre qu'ils aient cinquante ou soixante ans pour savoir si ces gens-là font moins de cancers. Il y a un décalage énorme entre le moment où on commence la prévention et le moment où son impact se fait vraiment sentir", détaille le spécialiste des cancers de la peau et de leurs traitements.
La Suisse particulièrement touchée
L'Australie est le pays qui compte le plus de cancers de la peau sur la planète. La Suisse, elle, se classe au septième rang mondial et cinquième européen, selon le fonds international contre le cancer. Elle est uniquement devancée par la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas et des pays nordiques. Cela peut paraître étonnant, dans la mesure où la Suisse est moins fortement ensoleillée que des pays comme l'Espagne ou l'Italie.
La quantité d'UV en Suisse à la montagne est plus importante qu'en Espagne au bord de la mer
"Les Suisses passent beaucoup de temps au soleil. Les Méditerranéens ont pris l'habitude de rester chez eux entre 11h et 15h, où ils mangent et font la sieste. Nous, on ne le fait pas. On a également de belles montagnes avec de belles promenades à faire en altitude. On peut skier dans des régions où la quantité d'UV est plus importante à cause de l'altitude qu'en Espagne, au bord de la mer", explique Olivier Gaide.
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Un pays de voyageurs
Le médecin rappelle par ailleurs que les Suissesses et les Suisses voyagent beaucoup. "On a un pouvoir d'achat énorme qui nous permet d'aller aux Caraïbes ou aux Maldives en hiver, quand on a la peau bien blanche et peu préparée. Et on s'expose à ce moment-là à de gros coups de soleil."
Le médecin émet également une autre hypothèse: "C'est peut-être aussi un biais de la qualité de notre système de santé, où tous les cancers de la peau sont diagnostiqués et répertoriés."
Ce taux élevé de cancers de la peau peut aussi être expliqué par le vieillissement de la population. La Suisse est l'un des pays au monde où l'espérance de vie est la plus longue, avec la Norvège et le Japon. Et contrairement au Japon où subsiste encore le culte de la peau claire, le hâle d'été n'est pas encore totalement démodé en Suisse, malgré les campagnes de prévention.
Valoriser son corps
Pour l'anthropologue du corps David Le Breton, la mode du bronzage n'a en effet pas disparu. Dans nos sociétés occidentales hyper individualisées, la peau est devenue un décor de notre rapport au monde et de notre rapport aux autres. Le bronzage, comme le tatouage, est une manière de valoriser son corps et de l'esthétiser.
Une récente expérience menée par l'Agence régionale de santé d'Occitanie, en France, montre qu’en termes de prévention, les arguments sur le vieillissement de la peau à cause du soleil sont souvent plus efficaces que les discours sur les cancers.
Dans cette étude, trois groupes de campeurs ont reçu des informations différentes sur les effets nocifs du soleil: le premier a reçu des explications sur le vieillissement de la peau dû à une trop forte exposition, le second sur les risques de cancer et le troisième n'a reçu aucune information. Au final, ce sont les campeurs à qui on a parlé "photo-vieillissement" qui ont davantage réduit leur exposition au soleil.
Sujets radio: Blandine Levite et Loïc Delacour
Adaptation web: Antoine Schaub
Appels à limiter la crème solaire
Se mettre de la crème solaire est le premier réflexe auquel on pense lorsque l'on veut éviter des coups de soleil. L’Agence de sécurité sanitaire française vient toutefois de relancer le débat sur l'octocrylène, un filtre UV chimique qui se trouve dans les crèmes solaires.
Selon Franceinfo, l'Agence de sécurité sanitaire demande au gouvernement français de restreindre l’utilisation de cette molécule pour préserver les océans, qui sont pollués, chaque année, par 25'000 tonnes de résidus de crème solaire.
L'octocrylène était déjà pointé du doigt par une étude franco-américaine publiée en 2021. Celle-ci montre que cette molécule risque de devenir cancérigène avec le temps et de perturber le système endocrinien.