Léo Bühler: "Le but est de supprimer les listes d'attente et le manque d'organes"
Le 20 septembre dernier, Lawrence Faucette, un Américain de 58 ans atteint d'une maladie cardiovasculaire au stade terminal, a reçu un cœur prélevé chez un cochon génétiquement modifié. Ce patient, qui ne pouvait pas recevoir d'organe humain, est le deuxième chez qui ce type d'intervention est tentée.
"L'opération s'est bien déroulée, il s'est réveillé, il a pu être extubé et pour l'instant, au bout d'une semaine, tout se passe bien", s'enthousiasme le professeur Léo Bühler dans La Matinale de la RTS jeudi. Le chirurgien et directeur d'un groupe de recherche à l'Université de Fribourg sur la xénotransplantation, à savoir la transplantation d'organes ou de tissus d'origine animale, estime que cette technique offre des perspectives très réjouissantes.
Si on pouvait greffer tous les patients en liste d'attente avec des organes de cochon, il n'y aurait plus de liste d'attente
Les spécialistes espèrent notamment pouvoir pallier le manque de donneurs d'organes. L'année dernière en effet, 83 patients sur liste d'attente sont décédés en Suisse, faute d'organes. "Le but c'est de supprimer les listes d'attente, de supprimer le manque d'organes", affirme Léo Bühler.
"Si on pouvait greffer tous les patients en liste d'attente avec des organes de cochon, il n'y aurait plus de liste d'attente et on pourrait transplanter beaucoup plus rapidement avec moins de risques de complications les patients à large échelle", poursuit-il. "Donc le grand espoir, c'est de supprimer les listes d'attente et d'éviter que les gens meurent en liste d'attente".
Cochons génétiquement modifiés
Ces xénotransplantations peuvent fonctionner, car "les mammifères se ressemblent, l'anatomie se ressemble et surtout la physiologie se ressemble", selon Léo Bühler. Et les cochons sont particulièrement adaptés à ce genre d'opérations. "Les cœurs de cochon ont une taille et une performance similaire à l'homme", explique le chirurgien. "Donc si on prévient le rejet, un cœur de cochon jeune fonctionnera très bien chez un humain".
Le cochon, dès les années 80, est apparu être l'espèce la plus optimale pour la modification génétique et la plus adaptée pour la transplantation chez l'homme
Malgré ces similitudes, les cochons utilisés sont toutefois génétiquement modifiés. "On ne peut pas utiliser un cochon simple de la ferme pour transplanter chez l'humain", rappelle Léo Bühler. "Le cochon, dès les années 80, est apparu être l'espèce la plus optimale pour la modification génétique et du point de vue taille, physiologie, être l'espèce la plus adaptée pour la transplantation chez l'homme".
Le cochon ayant donné son cœur à Lawrence Faucette possédait dix modifications génétiques pour être plus compatible avec l'homme. Il a été développé par United Therapeutics, l'une des deux grandes entreprises américaines actives dans le domaine, dans un ferme spécialisée.
"Ce sont des fermes qui ressemblent à ce qu'on voit dans la campagne, mais pour préparer des animaux pour le don, c'est devenu des sortes de bunkers fermés", explique Léo Bühler, qui raconte avoir pu visiter deux de ces endroits.
"Plus personne ne peut rentrer ou sortir de manière normale, les cochons sont protégés du monde extérieur pour ne pas être en contact avec l'eau, l'air, etc.", poursuit-il. "Tout est stérilisé et pendant deux ou trois générations, ces cochons sont maintenus pour devenir totalement propres et compatibles avec la transplantation".
Erreurs formatrices
Aujourd'hui, grâce aux manipulations génétiques, le rejet de cœurs de porcs peuvent être jugulés, selon Léo Bühler. L'un des problèmes qui subsiste est le risque de transmission de maladies animales. "Actuellement, on a pu éliminer pratiquement toutes les maladies animales transmissibles", affirme-t-il.
Le professeur estime que les chercheurs ont appris des erreurs commises lors de la toute première xénotransplantation, qui a eu lieu en 2022. Le patient était décédé deux mois après son opération. "Des erreurs, qui théoriquement aurait dû être évitées, ont été identifiées", ajoute-t-il.
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"La première erreur majeure, c'est que malgré l'élevage dans des bunkers de propreté, le cochon donneur avait quand même maintenu un virus porcin". Si celui-ci n'est pas transmissible à l'homme, le cytomégalovirus s'est réactivé dans l'organe greffé. "Le cœur s'est enflammé et a activé le rejet", explique Léo Bühler. "Et ça, c'était la première erreur majeure qui n'aurait pas dû arriver".
La deuxième erreur commise par les docteurs est d'avoir donné des concentrés d'immunoglobulines humaines pour traiter ce virus porcin, faute de médicament adapté. "En espérant neutraliser le virus, ils ont encore plus aggravé le rejet, ce qui aurait aussi dû être évité", estime Léo Bühler.
Si de telles erreurs ont pu être évitées dans le cas de Lawrence Faucette, les chercheurs estiment que le cœur de cochon pourrait survivre encore une année ou deux.
Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation web: Emilie Délétroz
Une technique profitable sur le long terme
Deux jours après l'annonce de la hausse des primes maladie, la question du coût d'une telle technologie se pose. Léo Bühler admet que la recherche liée à la xénotransplantation coûte extrêmement cher, mais il estime qu'elle permettrait d'économiser de l'argent sur le long terme.
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"Un patient qui a une insuffisance rénale va attendre plusieurs années en dialyse avant de pouvoir être greffé et chaque année de dialyse coûte environ 100'000 francs", donne en exemple Léo Bühler.
Il explique que l'on peut déjà observer aujourd'hui, avec des greffes d'organes humains, que les coûts sont nettement réduits après une greffe. "La greffe de rein elle-même coûte 75'000 francs, mais dès la deuxième année, juste le maintien avec les médicaments et la surveillance ne coûtera plus que 25'000 francs", détaille-t-il.
"Le temps d'attente pour une greffe rénale actuellement en Suisse est de plus de quatre ans, donc chaque patient risque d'attendre quatre ans en dialyse", explique-t-il. La xénotransplantation permettrait de réduire cette attente et donc d'économiser "beaucoup d'argent à la société".