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Eric Bonvin: "Aujourd'hui, les hôpitaux font face à des injonctions paradoxales"

#Helvetica: Eric Bonvin directeur général Hôpital du Valais
#Helvetica: Eric Bonvin directeur général Hôpital du Valais / #Helvetica / 19 min. / le 7 octobre 2023
Pour le directeur de l'Hôpital du Valais Eric Bonvin, le système de santé suisse doit être repensé et se concentrer à nouveau sur sa mission principale, soigner, et pas seulement sur sa rentabilité.

La hausse des primes maladie de 8,7% en moyenne en Suisse, annoncée le 26 septembre dernier, a suscité de vives réactions. De nombreuses voix émanant de la classe politique, des assurances ou encore des médecins appellent à une réforme du système de santé.

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"On est en crise, je crois qu'il faut le dire", affirme Eric Bonvin. Invité dans Helvetica, le directeur général de l'Hôpital du Valais estime toutefois qu'il faut voir cette prise de conscience collective comme "une opportunité". "Il faut espérer que cela ait un effet incitatif à la réflexion et au débat de manière globale", affirme-t-il.

Système obsolète

Pour Eric Bonvin, il faut repenser le système actuel de la LAMal, qui trouve ses origines dans les années 1970 déjà. "On pensait qu'en appliquant les règles de l'économie de marché à une institution de service comme celle du soin, on arriverait à maîtriser les coûts", explique-t-il.

"Ce que l'on voit aujourd'hui, c'est que ça ne marche pas", poursuit-il. "Donc il faut revenir aux prémices de ce système, qui a prévalu à la mise en place de la LAMal, et il faut faire un constat: les coûts augmentent, ils ne diminuent pas et la qualité des soins ne s'est pas forcément améliorée."

On pensait qu'en appliquant les règles de l'économie de marché à une institution de service comme celle du soin, on arriverait à maîtriser les coûts, mais on voit aujourd'hui que ça ne marche pas

Eric Bonvin, directeur de l'Hôpital du Valais

Eric Bonvin dénonce également une incitation à la productivité, qui peut amener à effectuer des procédures inutiles. "Les hôpitaux ne peuvent être financés, pour leur construction et leurs investissements, que par le tarif", explique-t-il. "Donc si vous ne produisez pas assez de soins, vous n'avez pas assez d'argent pour investir dans les hôpitaux."

"Donc on tourne en rond parce qu'on va nous demander de produire davantage de soins, au risque de rentrer dans des actes inutiles", poursuit-il.

Les hôpitaux font également face à des "injonctions paradoxales", affirme Eric Bonvin. "On demande à la fois d'être rentable mais en même temps d'être sur la retenue et on ne sait plus pourquoi on le fait", poursuit-il, affirmant que cette situation pousse de nombreux soignants à quitter leur métier. "On a une pénurie de personnel aujourd'hui parce qu'il y a une perte de sens", estime le directeur de l'Hôpital du Valais.

On a une pénurie de personnel parce qu'il y a une perte de sens

Eric Bonvin, directeur de l'Hôpital du Valais

Changements de société

Le coeur du problème, selon Eric Bonvin, réside dans le fait que l'on "oublie aujourd'hui de parler de la finalité de l'institution, qui est de soigner, et on ne parle plus que des moyens".

"Et en parlant des moyens, on essaie de savoir comment améliorer le financement, le moyen qui permettra de soigner, mais on a oublié de poser la question de savoir qu'est-ce qui permet de soigner au mieux", dit-il.

On oublie aujourd'hui de parler de la finalité de l'institution, qui est de soigner, et on ne parle plus que des moyens

Eric Bonvin, directeur de l'Hôpital du Valais

Il faut donc, selon lui, changer notre vision de la santé et que le système s'adapte aux changements observés dans notre société. "Le système sanitaire que nous avons, qui était très pertinent à un moment donné, a été construit sur des maladies aigües", affirme-t-il.

Or, aujourd'hui, une grande majorité de la population souffre de maladies chroniques. Le vieillissement de la population représente également "un enjeu et un défi majeur", selon Eric Bonvin. De plus, les gens vivent différemment aujourd'hui qu'il y a quelques années.

"La médecine, d'une part, mais aussi ce système de marché qui a été mis en place, ne tiennent pas compte de cela", regrette-t-il.

Médecine de réparation

Pour Eric Bonvin, les coûts de la santé n'existent pas. "La santé ne coûte pas. La santé est un bénéfice", affirme-t-il. "On a des coûts des soins", explique-t-il "et ces soins, il faut se poser la question de savoir quelle est leur efficacité globale."

Il affirme que la médecine actuelle est "une sorte de médecine de la réparation des méfaits de notre société", mais qui ne se soucie pas réellement du bien-être des patients et ne contribue pas réellement à la santé de la population.

Il faut donc se demander ce que cela signifie d'être en bonne santé et comment mieux vivre. "C'est un élément important et cela a été perdu", déplore Eric Bonvin.

Propos recueillis par Elisabeth Logean

Adaptation web: Emilie Délétroz

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