Le TDAH au féminin: une réalité méconnue et des superpouvoirs

Aujourd’hui encore, chez les enfants, on diagnostique trois fois plus les garçons que les filles. Ainsi de nombreuses femmes découvrent qu’elles vivent avec un TDAH à l’âge adulte, car contrairement à ce que l’on a longtemps cru, ce trouble ne disparaît pas avec l’âge.

Dans le podcast "Dingue", Jade*, diagnostiquée avec un TDAH à 30 ans, décrit sa vie avant sa prise en charge de manière lapidaire: "Ma vie, c'était boulette sur boulette, sur boulette." Des bévues quotidiennes compliquant son existence, comme oublier sa valise en partant en voyage ou acheter de la crème super adhésive pour prothèse dentaire au lieu de pâte dentifrice, laissent entrevoir les défis auxquels elle est confrontée. Jade commente: "Au quotidien, je fais face à des constats d'échec cuisants, et puis vite, vite, il faut en rire parce que sinon c'est trop déprimant."

Diagnostic tardif

Sous sa bonne humeur rayonnante, Jade cache une facette plus sombre. Depuis l'âge de 17 ans, elle est suivie pour des troubles anxio-dépressifs. C'est récemment, en changeant de thérapeute, que cette dernière a estimé que Jade ne correspondait pas aux critères des troubles anxieux, l'incitant ainsi à passer des tests de diagnostic pour le TDAH.

Si je vois, par exemple, un début de bagarre dans la rue, je vais immédiatement m'interposer comme médiatrice. Je vais agir sans prendre la seconde de recul qui permettrait de vérifier si c'est une bonne idée ou pas

Les résultats ont révélé que Jade vit effectivement avec ce trouble, dans sa forme avec hyperactivité. Elle est notamment très impulsive. "Si je vois, par exemple, un début de bagarre dans la rue, je vais immédiatement m'interposer comme médiatrice. Je vais agir sans prendre la seconde de recul qui permettrait de vérifier si c'est une bonne idée ou pas", confie-t-elle.

Biais de genre

Nader Perroud, professeur à l'Université de Genève et responsable de l'unité du trouble de la régulation émotionnelle aux HUG, explique: "Lorsque les symptômes du TDAH ont été définis, le DSM, le manuel de référence pour les pathologies mentales, s'est essentiellement concentré sur les garçons entre 5 et 12 ans, hyperactifs et perturbateurs. Les premières études ont délaissé les filles."

Alors que les hommes vont avoir tendance à externaliser les symptômes, les femmes ont plutôt une inclinaison à l'introversion des symptômes

Dès que le TDAH a été défini, la gent féminine a été négligée, mais ce n’est pas l’unique explication de ce biais de genre, poursuit Nader Perroud. "Alors que les hommes vont avoir tendance à externaliser les symptômes, à agresser autrui, casser des objets, se mettre en colère quand ils sont frustrés. Les femmes ont plutôt une inclinaison à l'introversion des symptômes ; elles auront plutôt de la dérégulation émotionnelle, un sentiment de honte, de désespoir, de tristesse". En conséquence, les femmes (ou les jeunes filles) passent plus facilement "sous le radar" du diagnostic.

Les superpouvoirs des TDAH

Paradoxalement, de nombreuses personnes vivant avec un TDAH, comme Jade, possèdent des supercapacités de concentration. Jade raconte: "Si quelque chose ne m'intéresse pas, j'ai une capacité d'attention d'une huître morte. Mais pour quelque chose qui m'intéresse, au contraire, je peux faire preuve d'hyperfocalisation. Ça veut dire que pendant 10h je peux être dans un mode ultraconcentré. Mais alors le problème c'est que, du coup, j'oublie d'aller aux toilettes, j'oublie de manger, j'oublie de respirer."

Au chapitre des 'superpouvoirs' des TDAH, Nader Perroud ajoute: "Si personne n'ose aller là où personne ne va, l'humanité serait morte. Donc on a besoin d'impulsifs, on a besoin de personnes dont l'attention n'est pas portée là où tout le monde la porte pour pouvoir inventer des nouvelles choses, créer et permettre à l'humanité de survivre tout simplement."

*Prénom d'emprunt

>> Voir aussi le sujet de 36.9° sur le diagnostic du TDAH à l'âge adulte :

Adrien Zerbini