"Je m'en souviens. On en avait parlé à l'école primaire, et ça m'a laissé une trace extraordinaire", se remémore René Prêtre, chef de la chirurgie cardiaque pédiatrique du CHUV et des HUG et invité du 12h30 de la RTS. Il avait alors à peine 10 ans.
Pour lui, cette première mondiale effectuée dans la nuit du 2 au 3 décembre 1967 par le professeur Christiaan Barnard est "tombée dans une bonne période" où "la médecine a fait des avancées extraordinaires."
"C'est plus qu'une opération. Il y a tout un symbole: en transplantant le coeur, vous transplantez un peu la vie, les sentiments... ce sont des dimensions tellement grandes!", estime-t-il.
René Prêtre rappelle que "le foie et le poumon ont été transplantés pour la première fois à la même période, mais on en a moins parlé". "Ce sont des organes qui, pour nous, ont une fonction bien précise, mais qui n'ont pas cette composante pratiquement sacrée qu'a le coeur."
La mort cérébrale pas légalisée
A la fin des années 60, la mort cérébrale n'était pas encore légalisée: un être humain n'était considéré comme mort que lorsque son coeur s'arrêtait. "On a dû définir la mort cérébrale pour la greffe cardiaque", et c'était le cas en Afrique du Sud au moment de l'opération, explique René Prêtre.
L'homme qui a reçu la greffe, âgé de 54 ans, n'a pourtant vécu que 18 jours. "On ne dominait pas l'immunosupression. Il fallait trouver ce savant mélange où vous réduisez les défenses immunitaires suffisamment pour que le rejet ne s'installe pas, mais pas assez pour que les infections ne flambent pas."
10% de réussite
"Les résultats n'étaient d'abord pas très bons: seulement 10% des patients quittaient les hôpitaux vivants", et les transplantations ont petit à petit été abandonnées, rappelle le chirurgien du coeur jurassien. Il ajoute que c'est grâce à la découverte en Suisse de la cyclosporine et à son utilisation médicale dès les années 80 que les transplantations, tous organes confondus, réussissent aujourd'hui.
Combien de temps vit-on actuellement avec un coeur transplanté? "Si l'on écarte les 5 à 10% de mortalité opératoire, on peut vivre 15, 20, 25 ans...", répond le Jurassien, ajoutant qu'il y a la possibilité d'être greffé une deuxième fois et donc d'augmenter l'espérance de vie.
Il précise que le recul sur cette opération n'est pas très important, les transplantations ayant été relancées vers la fin des années 80.
Jamais un acte banal
La transplantation cardiaque n'est pas pour autant devenue un acte banal. "Vous n'avez pas toutes les cartes en mains (...) Vous allez faire un grand déplacement et pendant celui-là, vous n'arrivez pas à donner du sang oxygéné au coeur, qui reste en asphyxie pendant longtemps. Plus ce temps sera long, plus les cellules auront du mal à se remettre en oeuvre", détaille René Prêtre.
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Propos recueillis par Nadine Haltiner
jvia
Plaidoyer pour un consentement présumé
La Suisse, comme de nombreux pays, manque de donneurs. Selon René Prêtre, cela est notamment dû au fait qu'il y a "beaucoup moins de décès sur les routes par rapport aux années 70-80". Mais aussi parce que "le réseau médical est efficace, on contrôle mieux l'hypertension artérielle", et que "les soins intensifs sont plus performants".
Mais "on perd chaque année 50 à 70 patients qui sont sur liste d'attente, tous organe confondus", explique-t-il encore.
Le chirurgien en appelle donc à l'aide des politiques pour aller vers un "consentement présumé". "Avec le consentement explicite, le bénéfice du doute profite au non. Si la famille a le moindre doute, on ne le fait pas", explique-t-il. Pour lui, "le consentement présumé ferait basculer pas mal de monde du côté de la transplantation".