L'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), l'organe qui fixe un cadre éthique aux professionnels de la santé, a adopté en mai un net changement de cap en matière d'assistance au suicide.
Alors que ses précédentes directives, datant de 2004, n'abordaient que la prise en charge des patients dont la mort était imminente, l'ASSM considère désormais que la "souffrance insupportable" ressentie par un patient peut justifier qu'il recoure à l'aide au suicide, que son décès soit imminent ou non.
C'est justement là que le bât blesse pour la Fédération des médecins suisses (FMH), très critique à l'égard de cet assouplissement. Les membres de la fédération ont refusé jeudi d'intégrer ces nouvelles bases à leur code de déontologie.
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"Aucun critère objectif pour évaluer la souffrance"
Les nouvelles directives de l'ASSM opèrent un "changement de focus", d'un critère objectif – celui de l'imminence de la fin de vie – à celui, subjectif, de la souffrance ressentie par le patient, résume Christine Clavien, philosophe des sciences, maître d'enseignement et de recherche à l’Institut Ethique Histoire Humanités de l'Université de Genève.
La chercheuse dit comprendre les réticences de certains médecins dans la mesure où "il est très difficile de déterminer ce qu'est la souffrance insupportable" d'un patient et qu'il n'existe, du point de vue scientifique, "aucun critère clair" leur permettant d'évaluer son intensité.
D'autant que la subjectivité du praticien est aussi un biais possible et peut influer sur la manière dont il reçoit la demande de son patient (tout en sachant qu'un médecin opposé par principe à aider quelqu'un à mourir peut faire objection de conscience).
"Le médecin doit faire confiance"
D'autres questions se posent: la souffrance morale équivaut-elle à une souffrance physique? Un patient atteint de maladie psychique est-il moins crédible lorsqu'il dit souffrir? Pour la chercheuse, le nœud du problème se situe moins au niveau de la cause de la souffrance qu'au niveau du symptôme.
"Il est très difficile d'établir des catégories de souffrance (...). Finalement, que la cause de cette souffrance soit physique ou psychologique, ce qui importe c'est qu'elle soit ressentie comme insupportable par le patient. Si c'est le cas, on commence à discuter", souligne-t-elle. "Le médecin doit faire confiance au patient."
Prendre en compte l'endurance du patient
Avant de l'aider à mourir, le médecin doit explorer activement les possibilités de traitement qui pourraient permettre d'éliminer la souffrance de son patient, ou de la rendre plus supportable.
Mais, note Christine Clavien, "il faut aussi voir quelles sont les alternatives qu'il est prêt à accepter". Il arrive qu'un patient ne soit pas prêt à s'engager dans une nouvelle thérapie bien qu'il sache qu'elle existe. "Respecter ce choix fait aussi partie du respect de son autonomie", estime la philosophe.
Puisqu'il ne peut pas évaluer le degré de souffrance de son patient, le rôle du médecin consiste à évaluer la "crédibilité de sa demande" en procédant à un certain nombre de vérifications.
Il s'agit de s'assurer qu'il comprend tous les enjeux de sa demande, que sa décision est mûrement réfléchie mais aussi que son souhait n'est pas influencé par des causes externes qui pourraient biaiser son jugement, par exemple des pressions sociales ou matérielles.
Propos recueillis par Pauline Turuban
"Aider à bien mourir devient une fonction du médecin"
Christine Clavien voit dans la position de l'ASSM "le reflet de changements dans la vision que la société a de la fonction du médecin, mais aussi que les médecins ont de leur propre rôle".
Auparavant, le médecin jouait le rôle de "celui qui savait ce qui était bien pour son patient"; aujourd'hui, "le patient devient un partenaire avec lequel on travaille" et on "donne de plus en plus d'importance à son autonomie de choix".
"Le rôle du médecin est bien sûr toujours de sauver la vie du patient, mais c'est avant tout de l'accompagner dans la réalisation de ses objectifs de vie et de ses valeurs." En un sens, "aider à bien mourir devient aussi une fonction du médecin". Christine Clavien note d'ailleurs que les futurs praticiens auxquels elle enseigne "trouvent tout à fait normal d'accéder à ce genre de demande".