Ancien président de Radio France entre 2014 et 2018, Mathieu Gallet vient de publier "Le Nouveau Pouvoir de la Voix", aux Editions Débats Publics. "Aujourd'hui, on voit que toutes les nouvelles applications comme Instagram ou Snapchat, qui sont basées sur l'image, intègrent des fonctionnalités audio", relève-t-il d'emblée dans une interview à l'émission Tout un monde.
Certains avaient un peu oublié que la voix continue à nous accompagner dans nos vies.
Vous pouvez envoyer des notes vocales, de petits SMS vocaux, à partir de WhatsApp, mais vous pouvez aussi en envoyer sur ces plateformes. En fait, la voix vient s'ajouter à l'image. Certains avaient un peu oublié que la voix continue à nous accompagner dans nos vies et que les nouvelles technologies – les enceintes connectées par exemple – viennent rappeler à quel point la voix a de l'avenir à travers l'audio digital", souligne-t-il.
Et ces interfaces vocales ou haut-parleurs intelligents ont des atouts, poursuit Mathieu Gallet en citant ce qu'on appelle le commerce conversationnel: "On fait du commerce à travers la voix aujourd'hui en France, on peut commander ses billets de train sur le site de la SNCF par la voix. Et depuis quelques semaines, un grand distributeur français – via un accord avec l'assistant de Google – permet de commander toutes ses courses".
Il y a un côté très inclusif de l'audio, cela fait partie des choses que l'on constate aujourd'hui.
Et si les jeunes raffolent de ces petites notes vocales, ces SMS audio, les personnes plus âgées peuvent aussi y trouver leur intérêt, explique le directeur de la plateforme Majelan. "Pour celles qui ont par exemple des difficultés à lire ou qui maîtrisent moins bien l'écrit, ces notes vocales ont permis de continuer à les inclure dans la société. Donc il y a un côté très inclusif aussi de l'audio. Cela fait partie des choses insoupçonnées que l'on constate aujourd'hui".
Ces interfaces vocales sont aussi plus humaines et plus simples, note-t-il encore. "Il y a ce côté léger, réactif, agile, qui correspond bien d'ailleurs à l'économie du numérique".
Les histoires racontées par Marlène Jobert ont bercé des générations d'enfants.
Et si le support audio regagne en popularité, c'est parce qu'on a besoin aujourd'hui d'alternatives, notamment pour les plus petits, estime Mathieu Gallet.
"Beaucoup d'études montrent qu'il y a un bienfait à ce que les enfants soient mis devant les écrans le plus tard possible. En comparaison, l'audio permet de développer mieux l'imaginaire des enfants, de les éveiller beaucoup plus que l'image qui a tendance à enfermer (…) Les histoires racontées par Marlène Jobert ont bercé des générations d'enfants. Il y a une mémoire par la voix très présente et qui n'a pas les mauvais côtés que l'on peut trouver aux écrans qui seraient mis dans les mains des enfants beaucoup trop tôt".
La voix est le médium pour lequel on a le plus de temps disponible.
Mais y a-t-il alors fatalement une opposition entre voix et image? "On le voit comme une opposition parce que l'on est dans une société de l'image, dit ce spécialiste, mais l'avantage de l'audio c'est qu'il est complémentaire: "La voiture est un moment important d'écoute de la radio, des podcasts ou de la musique parce que vous êtes dans un accompagnement. Quand vous faites votre footing ou allez à la salle de sport, c'est la même chose. Le fait de pouvoir faire plusieurs choses quand on écoute rend la voix et l'audio beaucoup plus accessibles. Au fond, la voix est le médium pour lequel on a le plus de temps disponible, et ça c'est un atout considérable".
Les podcasts ont connu un succès phénoménal ces dernières années, mais ils pourraient aussi n'être qu'une mode éphémère à l'instar des blogs, qui ont connu leur heure de gloire avant de décliner.
Mais cela va dépendre des plateformes, explique Mathieu Gallet. "En France, on a annoncé lundi la création d'une société commune, un certain nombre de groupes de radios privées et le service public, et je pense que pour les radios, d'avoir une réponse face aux plateformes c'est absolument nécessaire".
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"Spotify, qui fait des acquisitions par centaines de millions de dollars depuis environ un an et demi dans le domaine de l'audio narratif, est une vraie concurrence pour la radio", relève-t-il, "parce que les plateformes connaissent parfaitement les usages de leurs abonnés alors que les radios sont mesurées de façon déclarative tous les deux ou trois mois. Et si on ne veut pas que Spotify soit à la radio ce que Netflix est à la télévision, il y a besoin d'une réponse".
Celle-ci doit passer, de l'avis de Mathieu Gallet, par la connaissance des datas et la maîtrise de l'utilisateur. "Il faut connaître l'utilisateur final pour avoir des programmes personnalisés, une recommandation qui soit plus fine. Et ça, les plateformes le permettent".
L'urgence d'une réaction du côté des radios
En attendant, la radio perd des auditeurs: "Le phénomène est marqué aujourd'hui et s'accélère avec les jeunes qui ne l'écoutent plus, notamment les radios musicales, parce qu'ils ont ces plateformes à disposition", constate l'ancien président de Radio France.
"Donc il y a vraiment une urgence à ce que l'offre parlée soit aussi exposée auprès des jeunes pour que cette habitude d'écouter de l'audio narratif ne soit pas perdue l'âge venant (…) "Aujourd'hui, dans le monde du digital, c'est vraiment l'utilisateur, le public, qui est au coeur de la problématique. Et cette révolution-là n'est pas encore faite dans les radios, elle va devoir se faire très rapidement si on veut que la radio continue à toucher un large public".
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/oang