Une analyse inédite décrypte les rapports de force sur Twitter dans le débat climatique
Lancée début 2021, l'étude s'intitule "Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme". Les quatre chercheurs français à l'origine du projet préfèrent le terme "dénialisme climatique", car il désigne plus précisément le rejet quasi-systématique des faits et des concepts établis par un consensus scientifique au profit d'idées alternatives et radicales.
Les échanges sur le climat se multiplient lors d'évènements extrêmes, comme la sécheresse de l'été 2022, et dans des contextes géopolitiques particuliers comme l'élection américaine. Et selon ce rapport, environ 30% des messages qui abordent les questions climatiques émanent de comptes dénialistes. Un chiffre important, mais pas surprenant: "C'est à peu près ce qu'on retrouve dans des études au niveau mondial, même si ça varie d'un pays à l'autre", relevait lundi sur France Inter David Chavalarias, mathématicien en sciences-sociales et co-auteur de l'étude.
"Chambre d'écho" de la dissidence
L'étude révèle un moment-clé pour l'importante communauté francophone, qui s'appuie sur un noyau dur d’environ 2000 comptes. Elle s'est structurée à l’été 2022, nourrie par des nouveaux venus, en particulier des anti-vaccins issus de la crise du Covid ou des soutiens de la propagande russe dans le cadre de la guerre en Ukraine. Selon les chercheurs, une partie importante de la communauté est donc "nouvellement acquise à cette cause, après avoir été antivax".
En France, ce dénialisme n'est pas politique ou économique, il est de l'ordre de la subversion
Le rapport rappelle aussi que le Kremlin dispose depuis 2013 d'une agence, en réalité une "usine à trolls", créée par l'oligarque Evgueni Prigojine, dont on sait qu'elle est active dans le domaine de la désinformation dans le monde entier. Le chef du groupe Wagner a lui-même reconnu être le créateur d'une agence destinée à mener des campagnes de propagande et de désinformation.
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"La majeure partie des comptes appartient à ce qu'on appelle une 'chambre d'écho', c'est-à-dire une énorme communauté qui s'est construite et radicalisée en ligne" autour d'une dissidence face aux mesures sanitaires, résume David Chavalarias sur France Inter. "Par ailleurs, 60% ont aussi participé à relayer la propagande du Kremlin au moment de la guerre en Ukraine." Ainsi, en France, plus qu'un combat politique ou économique, "c'est un dénialisme qui est de l'ordre de la subversion", observe-t-il.
Ces gens potentiellement investis dans plusieurs conflits sociaux développent parfois des stratégies bien rodées face aux discours scientifiques. Ils ont notamment une rhétorique que les auteurs de l'étude nomment "5D" pour discrédit, déformation, distraction, dissuasion et division, le tout sur fond de soupçon permanent.
Part importante de bots
Les chercheurs relèvent aussi l’ampleur des faux comptes tenant ou relayant des propos dénialistes pour tenter d’influencer le débat public. "Il est possible d’acheter à bas prix de faux comptes, opérés par des humains ou des robots, qui agiront selon les souhaits de leurs acquéreurs, augmentant artificiellement la présence en ligne d’une idée, d’une personne ou d’un produit", note l’étude. Les possibilités sont d'autant plus larges avec l'essor de l'intelligence artificielle.
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Cette pratique, baptisée "Astroturfing" ou désinformation planifiée, n'est cependant pas l'apanage des seuls complotistes: elle a aussi été mise en oeuvre par des groupes industriels ou des gouvernements.
À noter enfin que cette étude pourrait bien être la dernière de ce type à pouvoir être réalisée: Elon Musk, nouveau patron de Twitter, ne veut plus laisser libre accès aux données du réseau social pour les chercheurs et les chercheuses.
Sujet radio: Anne Fournier
Texte web: Pierrik Jordan
Les "techno-solutionnistes", autre écueil de la diffusion du savoir scientifique
L'étude identifie plusieurs "communautés" actives autour de la question climatique, qui interagissent et s'influencent entre elles de différentes manières. Parmi les communautés françaises, on trouve ainsi les dénialistes (la plus importante), les militants pro-climat, la communauté scientifique liée au GIEC, les médias, les autorités politiques, une petite partie de l'extrême-droite ainsi que les "techno-solutionnistes".
Ces derniers, s'ils ne nient pas l’origine anthropique du changement climatique, estiment qu’il existe des solutions technologiques qui rendent superflues une partie des mesures défendues par les pro-climat. Les chercheurs relèvent que leurs discours contribuent probablement, comme ceux des dénialistes, à freiner la diffusion des connaissances scientifiques en matière de climat.
Ils soulignent enfin que, sur le moyen terme, ce sont les synthèses de l’état des connaissances scientifiques effectuées par le GIEC qui sont le plus à même de mettre les questions climatiques à l'agenda des médias et des politiques.
Loin des réseaux, le corona-scepticisme peine à convaincre en Suisse
En Suisse, par-delà les réseaux sociaux, les anciens opposants et opposantes aux mesures sanitaires ont de la peine à s'installer dans le paysage politique. Dimanche, la liste "Debout la Suisse" n'a récolté que 2,2% des voix lors des élections cantonales zurichoises. À peine mieux que lors des élections bernoises de l'année dernière.
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Pourtant, le mouvement "Debout la Suisse" peut se targuer d'un héritage prestigieux. Il est issu de neuf collectifs citoyens, dont les Amis de la Constitution qui ont réuni des milliers de gens dans la rue durant la pandémie et qui ont convaincu 38% des votants lors du dernier référendum contre les mesures sanitaires.
Ce résultat de 2,2% n'est toutefois pas anecdotique. C'est presque autant que certaines formations établies comme l'Union démocratique fédérale ou le Parti du Travail. Mais ça reste loin des 10% prophétisés par certains observateurs pendant la pandémie. En cause: un programme flou, articulé autour de la "défense des libertés", un positionnement changeant de ses candidats et candidates sur l'échiquier politique, et la concurrence de l'UDC, qui formule le même type de discours et qui est passé maître pour canaliser les formes les plus variées de défiance envers les autorités.