Lancé le 16 mars 2008, Mediapart - qui ne vit que par le financement de ses lecteurs - est aujourd'hui une entreprise dans les chiffres noirs. Et pourtant, à l'époque, l'incrédulité était générale.
"Quand nous nous sommes lancés, personne ne croyait à l'information payante sur l'internet, information généraliste d'intérêt public. Tout le monde croyait que le seul modèle était la gratuité publicitaire", se souvient Edwy Plenel. "Et donc, à contre-courant de tout le monde, on a voulu inventer - je le dis un peu de manière non pas prétentieuse, mais audacieuse - ce qu'est un journal de référence, de qualité, avec trois éditions par jour, traitant les grandes questions politiques - qu'elles soient nationales ou internationales. Et finalement, ça a marché."
Mediapart en est aujourd'hui à son 7e exercice dans les chiffres noirs, avec un résultat net qui avoisine les 15% du chiffre d'affaires. C'est "une entreprise qui contredit tout le pessimisme de notre secteur actuellement", souligne le journaliste.
Tout le défi, aujourd'hui, c'est comment rendre cette réussite durable.
Mais le journal en ligne reste une exception dans le paysage médiatique français et il s'agit encore et toujours d'assurer son avenir. "Tout le défi, aujourd'hui, ce n'est pas de se reposer sur nos lauriers ou de se complimenter. C'est comment rendre cette réussite durable."
Edwy Plenel dénonce au passage le trop-plein d'aides à la presse en France. "Il y a beaucoup d'aides publiques - y compris à une presse qui est contrôlée par des milliardaires. Il y a en plus maintenant des aides privées, qui à mon avis aggravent la situation de dépendance des médias: les aides de Facebook, de Google voire de la Fondation Gates, ces immenses entreprises du numérique."
"Nous, seuls nos lecteurs peuvent nous acheter", relève malicieusement ce patron de média très particulier. Mais Edwy Plenel ne s'emballe pas: "C'est une force, mais aussi une fragilité", reconnaît-il.
Ce qu'on a voulu faire, c'est réhabiliter la valeur de l'information.
Sur les années, la rédaction de Mediapart s'est fait remarquer notamment pour avoir sorti un certain nombre d'affaires politiques retentissantes en France. Edwy Plenel ne voit pas pour autant son travail comme une recherche de scoop en permanence.
"Ce qu'on a voulu faire, c'est réhabiliter la valeur de l'information" explique le journaliste d'investigation, longtemps directeur de la rédaction du quotidien Le Monde.
"A l'ère du numérique, vous vous adressez - quel que soit votre média - à un public qui est déjà atteint par toutes sortes de nouvelles et qui a du mal à faire le tri et la hiérarchie. Donc notre rôle, notre responsabilité de journalistes, c'est d'apporter une plus-value: un angle, une information inédite, une problématique, une mise en scène. Mettre de côté ce que tout le monde fait, mais donner à comprendre, donner du sens. Et donner du sens c'est aussi souvent trouver une information qui éclaire, qui révèle, et qui - en révélant - réveille le débat public. C'est comme ça que je vois la question de l'investigation."
Il faut à chaque fois se battre. L'indépendance, c'est une bataille.
Mais les enquêtes à succès ont aussi mis la pression sur le journaliste, régulièrement critiqué. "Il y a un manque de culture démocratique qui fait que, au lieu de féliciter les journalistes qui sortent des informations qui dérangent, on essaie de les calomnier, d'inventer des légendes pour les déstabiliser, pour les décrédibiliser", déplore-t-il.
"En clair, l'indépendance, c'est une bataille (…) Il faut à chaque fois se battre, contre des pouvoirs, contre un système médiatique qui est parfois lié au pouvoir (…) Après tout, pour rétablir la confiance avec le public, il vaut mieux un journalisme qui montre qu'il est prêt à se battre pour ça. Il faut convaincre le public que nous sommes vraiment indépendants."
Interview: Chrystel Domenjoz et Thibaut Schaller
Adaptation web: Olivier Angehrn
Echec de l'initiative No Billag, "un succès formidable"
Au lendemain du rejet en Suisse de l'initiative No Billag, et alors que la France entame elle aussi un débat sur le financement de l'audiovisuel public, Edwy Plenel salue le choix des Suisses.
"Je trouve formidable qu'il y ait eu ce choix de défendre l'existence, la nécessité d'un service public, c'est-à-dire d'un audiovisuel qui ne soit pas dépendant d'intérêts privés, d'intérêts économiques, qui peuvent avoir un agenda qui n'a rien à voir avec l'exigence de l'information."
Mais ce vote a une exigence, insiste le journaliste français: "C'est que le service public soit vraiment un service public, qu'il ne suive pas - alors qu'il a ce financement garanti par une forme d'imposition, la redevance - la course à l'audience des médias privés et publicitaires. Qu'il soit au service du public."