Chaque année, Apple (comme ses concurrents) innove. Parmi les nouvelles fonctionnalités de sécurité, de plus en plus de composants sont verrouillés, rendant la réparation par des entreprises tierces toujours plus compliquée. Si Apple se targue d’une politique durable, les derniers modèles d’iPhone 12, sortis ce vendredi en Suisse, semblent être encore plus difficiles à réparer que les précédents.
L'Américain Hugh Jeffreys en fait la démonstration sur sa chaîne YouTube. Il tente d'interchanger les caméras de deux iPhone 12 neufs, mais l'expérience va rendre cette fonctionnalité totalement inutilisable.
Ce procédé ne surprend guère Sergio Carrozza, spécialiste en réparations électroniques depuis plus de 12 ans. Pour lui, il est clair que chaque modèle qui sort est plus verrouillé que le précédent: "Apple met toujours plus de difficultés pour réparer certains composants. La marque veut tout monopoliser pour elle. En tant que réparateurs, on est un peu discriminés, car on n'est pas agréé Apple", estime-t-il.
Mieux qu'il y a 12 ans
Contactée par la RTS, la firme américaine se défend de bloquer volontairement la réparation de ses appareils. Par e-mail, elle nous renvoie à son plan environnement et affirme que ses iPhones se réparent mieux aujourd'hui qu'il y a 12 ans.
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Apple dit vrai, dans une certaine mesure. Il est aujourd'hui beaucoup plus facile de changer un écran ou une batterie qu'auparavant, mais le géant américain refuse quasi-systématiquement de résoudre d'autres problèmes.
"A part changer la batterie, le display et puis maintenant la caméra arrière de l'iPhone 12 ainsi que le face ID, ils ne changent rien. S'il y a un problème, qu'il a pris l'eau ou de l'humidité, ils vont remplacer le téléphone, alors qu'il suffit de changer certains composants", assure Sergio Carrozza.
Pas mieux chez les concurrents
Le problème ne touche pas que la marque à la pomme. Au contraire, à en croire le site américain ifixit, qui fait figure de référence en la matière. Parmi les modèles les moins réparables, plusieurs marques sont dans le rouge, parmi lesquelles Samsung, Motorola ou Microsoft, tandis que la plupart des iPhone dépassent la moyenne.
La marque de smartphone la plus utilisée en Suisse a encore beaucoup de progrès à faire pour atteindre le score de 10/10, une performance que n'atteint que le Fairphone, une marque néerlandaise conçue en intégrant toutes les contraintes environnementales et de commerce équitable dans sa chaîne de production.
Reste encore à connaître la note qui sera attribuée aux quatre derniers modèles iPhone 12, sortis cet automne.
"Peut mieux faire", juge pour sa part Sophie Michaud Gigon. La secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs (FRC) déplore le modèle d'affaires d'Apple, basé sur l'achat de nouveaux produits: "Ce sont des articles qui sont assez chers et qui ont des durées de vie de 3 ou 5 ans. C'est quand même court pour des objets aussi chers. Ces marques ont tout intérêt à peu développer le secteur de la réparation et à vendre de nouveaux appareils. Pourtant, les consommateurs seraient prêts à se tourner vers la réparation."
Un sondage réalisé le mois dernier par l'Alliance des organisateurs et consommateurs, dont fait partie la FRC, suggère en effet que les Suisses seraient très largement prêts (96%) à payer plus cher pour un produit qui offre des garanties spécifiques de réparabilité. Pour la secrétaire générale de la FRC, le problème ne relève pas d'une prise de conscience de la population, mais des nombreux obstacles à la réparation, notamment le prix ou la praticabilité. "Le fait de contraindre les consommateurs à aller dans les centres agréés Apple ne contribue pas à faire diminuer le prix des réparations, car il n'y a pas de concurrence. D'autant plus s'ils encouragent à des nouveaux achats plutôt qu'à réparer".
Une boîte à deuxième vie
L'association genevoise No obsolescence programmée Suisse (NoOps) propose une solution concrète pour rendre le commerce des téléphones plus durable: des boîtes pour récupérer les téléphones usagés.
"Un téléphone qui ne marche plus n'est pas forcément un téléphone obsolète", souligne Thomas Putallaz, président de NoOps. L'association propose aux consommateurs qui veulent offrir une deuxième vie à leur téléphone de les glisser dans leurs boîtes. Les données seront effacées et les téléphones reconditionnés pour les remettre sur le marché de l'occasion.
"En Suisse il y a 8 millions de téléphones qui sommeillent dans les tiroirs. C'est une véritable mine d'or. Cela n'a aucun sens d'aller extraire des matières premières à l'étranger alors qu'on a notre source ici en Suisse", relève le président de l'association.
Aujourd'hui, la durée de vie moyenne d'un smartphone est de 2 ans et demi, selon comparis, alors qu'il pourrait encore servir 4 ou 5 ans en passant par le marché d'occasion, tout en favorisant l'économie locale: "Les réparateurs indépendants ont des compétences. Il est indispensable qu'ils puissent exercer leur travail autour de ces produits électroniques qui sont par ailleurs coûteux. Je ne vois pas pourquoi les fabricants concentrent tout dans leurs mains, alors que tout le monde devrait pouvoir en profiter", conclut Thomas Putallaz.
Ainhoa Ibarrola et Feriel Mestiri