La découverte d'une tempête solaire fait craindre pour la sécurité de nos technologies
Si les éruptions solaires demeurent difficiles à prévoir, les astronomes s'accordent sur le fait qu'elles se produisent généralement lors des phases les plus actives de notre étoile. Mais les scientifiques de l'Université de Lund, en Suède, viennent d'établir qu'une grosse éruption jusqu'alors inconnue était intervenue sur le Soleil lors d’une période de faible activité, il y a environ 9200 ans.
Dans une étude publiée dans la revue Nature Communications, l'équipe a étudié les carottes de forages effectués au Groenland et en Antarctique afin d'y rechercher la signature de ces tempêtes solaires. Des traces de pics d'isotopes radioactifs, en l'occurrence de béryllium-10 (noté 10Be) et de chlore-36 (36Cl), ayant frappé la Terre et restés piégés dans les glaces.
"La force de ces études, c'est de comprendre les cycles chimiques qui se produisent à la suite des éruptions solaires, et de pouvoir retracer précisément l'énergie des particules émises par le Soleil", explique Gaël Buldgen, post-doctorant au département d’astronomie de l'Université de Genève et titulaire d'une bourse du Fonds national suisse de la recherche, interrogé dans l'émission CQFD.
Éruptions solaires, mode d'emploi
"Le Soleil, on peut l'imaginer comme un gigantesque réacteur de fusion nucléaire très stable, composé à 73% d'hydrogène, environ 25% d'hélium et 2% d'éléments plus lourds", explique le chercheur. C'est un astre actif en permanence, dont on ne peut observer que la surface. "Il produit de l'énergie en son coeur par fusion d'hydrogène, et cette énergie est transportée vers les couches externes où se produisent les éruptions", poursuit-il.
Ces éruptions sont provoquées par la courbure des champs magnétiques à la surface du Soleil. "Il faut imaginer ces champs magnétiques comme des ressorts qui stockent de l'énergie en se tordant", illustre-t-il. "Lors de périodes d'activité assez grande, beaucoup de lignes de champ vont se réarranger, et c'est comme si vous libériez d'un seul coup toute cette énergie. C'est là qu'il peut y avoir des particules chargées qui sont éjectées dans l'environnement solaire, ce sont des phénomènes courants dans la météo spatiale."
Les éruptions les plus massives sont toutefois très directionnelle, et la plupart d'entre elles ne touchent donc pas la Terre. "Mais si l'éruption se fait en plein dans notre ligne de visée, on est forcément impactés. C'est relativement rare, et lorsque cela se produit, on parle de tempête géomagnétique", précise Gaël Buldgen.
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Lors de ces phénomènes, des particules chargées vont être éjectées vers la Terre à très grande vitesse. Elles vont parcourir en un à deux jours les quelque 150 millions de kilomètres qui séparent les deux astres. Généralement, le champ magnétique terrestre va absorber cette énergie, mais dans les cas les plus extrêmes, tels que ceux observés dans l'étude suédoise, on peut avoir une pression telle que qu'elle peut provoquer une modification du champ magnétique. Des particules vont alors pénétrer dans l'atmosphère et vont créer, par toute une série de cycles chimiques, des isotopes radioactifs comme ceux détectés par l'étude.
Un danger imminent pour la Terre?
Si cette découverte a surpris les scientifiques, c'est principalement parce que l'éruption observée il y a 9200 ans s'est produite lors d'une période de faible activité, supposée jusqu'ici moins dangereuse. "Des éruptions, il s'en produit tout le temps, donc cette découverte est certes surprenante mais pas aberrante", estime cependant Gaël Buldgen.
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Mais si les éruptions solaires ont été particulièrement scrutées dans les dernières décennies, c'est en raison de la forte vulnérabilité de nos technologies modernes à ces événements, rappelle l'étude suédoise. Et si une tempête similaire venait à se produire aujourd'hui, les conséquences seraient importantes sur les systèmes de communication, sur l'approvisionnement énergétique, sur le trafic aérien, et pourraient mettre en danger certaines missions spatiales (voir encadré).
"Il faut savoir que lorsqu'il y a des tempêtes géomagnétique importantes, le trafic aérien est modifié, puisqu'on n'a plus de système GPS qui fonctionne proprement. Les avions sont notamment obligés d'éviter les routes proches des pôles", explique Gaël Buldgen. Quant aux satellites, ils sont "en première ligne, puisqu'ils ne sont pas protégés par l'atmosphère terrestre".
Enfin, les astronautes en mission hors de l'atmosphère terrestre seraient quant à eux directement mis en danger. "Ce sont des rayonnements ionisants, qui vont donc interagir avec le corps humain et peuvent provoquer de graves problèmes de santé", rappelle-t-il.
Tout l'enjeu réside alors dans la capacité de prédire et anticiper de telles éruptions. Une opération qui demeure délicate malgré tous les moyens humains et technologiques déployés. "On a des satellites qui surveillent le soleil en permanence. Il y a des moyens importants, mais la prédiction reste délicate", souligne l'astrophysicien belge. "On peut calculer des probabilités. Mais prédire le moment exact et l'intensité d'une éruption, ça reste difficile."
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Stéphane Délétroz/Pierrik Jordan
Divers exemples
Dans la discussion de leur étude, les scientifiques suédois présentent plusieurs exemples. En 2003, une "Tempête d'Halloween" a notamment privé plusieurs parties du continent européen d'électricité durant plusieurs heures, tandis que des transformateurs en Afrique du Sud ont été détruits, avec "des coûts énormes pour la société".
Par ailleurs, si une mission Apollo avait décollé durant l'éruption d'août 1972, les astronautes auraient été exposés à une dose de radiations suffisante pour leur causer des dommages sévères, voire les tuer. Or, cette année-là, des missions Apollo ont été lancées en avril et en décembre, rappelle le papier.
Ainsi, "identifier s'il existe un lien entre l'activité solaire et l'apparition d'éruption solaires extrêmes est fondamental pour la planification des missions spatiales, afin de minimiser les risques pour les technologies spatiales et la santé des astronautes", souligne l'étude.
Une bourrasque solaire va frapper la Terre mercredi et jeudi
Une tempête modérée de vent solaire devrait toucher la Terre ces 2 et 3 février 2022 suite à une éjection de masse coronale (CME) intervenue samedi 29 janvier 2022, a annoncé le Space weather prediction center (SWPC), organe de la NASA chargé de surveiller l'activité du Soleil.
Le satellite SOHO (Solar and Heliospheric Observatory) a observé le 29 janvier dernier l'éjection d'une immense masse de plasma dans l’espace lors d’une éruption solaire. Celle-ci va frôler la Terre à 2,3 millions de km/h, la balayer en partie, et mettant le champ magnétique terrestre à contribution.
Si son intensité devrait être modérée, elle témoigne d'un regain d'activité de l'étoile, qui est entrée il y a deux ans dans un nouveau cycle. Parmi les incidences possibles sur Terre, la tension des systèmes électriques en haute altitude pourra être affectée, tout comme certains transformateurs si la bourrasque venait à durer.