Le Grand collisionneur de hadrons – LHC, pour Large Hadron Collider – a été remis en route en avril, après un arrêt technique de trois ans, pour des travaux de maintenance et d'amélioration de sa production et détection de particules.
Il va fonctionner à sa pleine puissance de collision de 13,6 milliards de milliards d'électronvolts (TeV) pendant quatre ans, ont annoncé les responsables du CERN, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, dans un point de presse la semaine dernière.
Ses deux faisceaux de protons – les particules du noyau de l'atome –, accélérés à une vitesse proche de celle de la lumière, vont circuler en sens opposé dans l'anneau de vingt-sept kilomètres, enfoui à cent mètres sous terre à la frontière franco-suisse.
>> Un tour virtuel du LHC: ici, sur le site du CERN
De violentes collisions
Les détecteurs de plusieurs expériences – notamment ATLAS, CMS, ALICE et LHCb –, vont alors enregistrer les collisions de protons, qui produisent des particules éphémères expliquant le fonctionnement de la matière.
"Nous visons un taux de 1,6 milliard de collisions proton-proton par seconde pour les expériences ATLAS et CMS", a indiqué jeudi Mike Lamont, directeur des accélérateurs et de la technologie au CERN.
Plus ces collisions sont violentes, plus elles permettent de "casser" les particules pour identifier leurs composants et leurs interactions.
Les faisceaux de protons vont être concentrés pour atteindre aux points d'interaction une taille microscopique, de "10 microns, afin d'accroître le taux de collisions" de protons, a expliqué Mike Lamont.
Le boson de Higgs détecté
Le temple mondial de l'infiniment petit, construit en 2008, a permis la découverte du boson de Higgs, annoncée il y a exactement dix ans par Fabiola Gianotti, alors porte-parole d'Atlas et aujourd'hui directrice générale du CERN. Ce boson est une particule qui se désintègre si vite qu'elle est presque insaisissable.
"Le boson de Higgs est lié à certaines des questions les plus profondes de la physique fondamentale, qu'il s'agisse de la structure et la forme de l'Univers, comme de la façon dont s'organisent les autres particules", selon la chercheuse.
"Le boson de Higgs, c'est simplement quelque chose qui nous permet de comprendre comment les particules se parlent entre elles et en particulier comment elles deviennent plus lourdes ou plus légères", explique encore Gaëlle Boudoul, chargée de recherche au CNRS et physicienne au CERN, au micro de La Matinale.
Sa découverte a révolutionné la physique, en confirmant la prédiction des équipes de recherche qui en avaient fait, près de cinquante ans auparavant, une pièce maîtresse du Modèle standard de la physique des particules (SM). Le boson de Higgs est la manifestation d'un champ, c'est-à-dire un espace, qui donne une masse à des particules élémentaires formant la matière.
>> Ecouter le sujet de La Matinale sur le 10e anniversaire de la découverte du boson de Higgs:
Chercheurs et chercheuses ont pu le débusquer grâce à l'analyse d'environ 1,2 milliard de milliards de collisions de protons entre eux. La troisième période d'exploitation du LHC qui s'ouvre mardi va multiplier ce chiffre par vingt. "C'est un accroissement significatif qui ouvre la voie à de nouvelles découvertes", relève Mike Lamont.
Car le boson de Higgs n'a pas livré tous ses secrets (lire encadré). A commencer par sa nature. "S'agit-il d'une particule fondamentale ou bien composite", à savoir un assemblage de plusieurs particules encore inconnues, interroge Joachim Mnich, directeur de la Recherche et du Calcul au CERN. Mieux, "Est-ce la seule particule de Higgs existante ou y en a-t-il d'autres?"
Les expériences passées ont permis de déterminer la masse du boson de Higgs, et aussi de découvrir plus de 60 particules composites prédites par le Modèle standard, telles que le tétraquark.
Comprendre les principes fondamentaux de la Nature
Mais comme le rappelle Gian Giudice, chef du département de physique théorique au CERN, "les particules ne sont que la manifestation d'un phénomène", alors que "l'objectif de la physique des particules est de comprendre les principes fondamentaux de la Nature". Comme la nature de l'hypothétique matière noire ou de la non moins mystérieuse énergie sombre.
Neuf expériences vont ainsi mettre à profit la production de particules de l'accélérateur. Comme ALICE, qui étudie le plasma primordial de matière qui prévalait dans les dix premières microsecondes après le Big Bang. Ou LHCf, qui simule des rayons cosmiques.
L'étape suivante du grand collisionneur interviendra après la troisième pause, en 2029, avec son passage à la "haute luminosité", qui multipliera par dix le nombre d'événements détectables.
Au-delà encore, les chercheurs du CERN regardent vers le projet de Futur collisionneur circulaire (FCC), un anneau de 100 kilomètres dont l'étude de faisabilité est attendue fin 2025: "Ce sera la machine ultime pour étudier le boson de Higgs, qui est un outil très puissant pour comprendre la physique fondamentale ", a conclu Fabiola Gianotti.
sjaq et l'afp
Le Boson de Higgs est en "très bonne concordance avec le Modèle standard"
Dix ans jour pour jour après l'annonce de la découverte du boson de Higgs, le CERN a communiqué les résultats de recherche les plus complets sur les propriétés de cette particule. Publiées lundi dans la revue Nature, deux études (faites avec ATLAS et le CMS) montrent une très bonne concordance avec les prédictions du Modèle standard de la physique des particules.
Ces travaux montrent également que le boson de Higgs devient un outil puissant pour étudier des phénomènes inconnus. Il pourrait ainsi aider à percer certains des plus grands mystères de la physique, tels que la nature de la matière noire présente dans tout l'Univers, a indiqué le CERN.
Le boson de Higgs est la manifestation, sous la forme d’une particule, d'un champ quantique omniprésent, appelé "champ de Higgs". Il est un élément essentiel dans la description de l'Univers tel que nous le connaissons.
Sans ce champ, des particules élémentaires telles que les quarks, qui constituent les protons et les neutrons du noyau atomique, ainsi que les électrons qui l'entourent, n'auraient aucune masse, tout comme les particules lourdes (bosons W), porteuses de l'interaction faible chargée qui déclenche les réactions nucléaires alimentant le Soleil.
>> Lire : Dix ans après sa découverte, à quoi sert le boson de Higgs?
Des millions de bosons de Higgs
Afin d'explorer tout le potentiel des données du Grand collisionneur de hadrons (LHC) pour l’étude du boson de Higgs, et notamment de ses interactions avec d'autres particules, les collaborations ATLAS et CMS ont combiné les analyses de nombreux processus complémentaires dans lesquels sont produits des bosons de Higgs qui se désintègrent en d'autres particules.
Les équipes de recherche ont ainsi analysé les résultats de la deuxième période d'exploitation du LHC, chaque ensemble de données comprenant plus de 10'000 millions de millions de collisions proton-proton et environ 8 millions de bosons de Higgs, soit trente fois plus qu'à l'époque de la découverte de la particule.
Chacune de ces nouvelles études combine un nombre et une variété sans précédent de processus de production et de désintégration de bosons de Higgs afin d'obtenir un ensemble de mesures d'un niveau de détail et de précision inédit à ce jour.
Très bonne concordance
"Toutes ces mesures présentent une très bonne concordance avec le Modèle standard dans une gamme d'incertitudes qui dépend de la fréquence d'un processus donné", note le CERN. "S’agissant de l’intensité de l'interaction du boson de Higgs avec les particules porteuses de l'interaction faible, on atteint une incertitude de 6%. À titre de comparaison, dans des analyses réalisées lors de la première période d'exploitation, on avait pour cette même force d'interaction une incertitude de 15%".
"Dix ans à peine après la découverte du boson de Higgs au LHC, les expériences ATLAS et CMS ont fourni une carte détaillée de ses interactions avec les particules porteuses de force et avec les particules de matière", se réjouit le porte-parole d'ATLAS, Andreas Hoecker.
Les nouvelles analyses combinées fournissent selon les auteurs et autrices des limites strictes concernant l'interaction du boson de Higgs avec lui-même, ainsi que des limites sur des phénomènes inconnus se situant au-delà du Modèle standard, tels que la désintégration du boson de Higgs en des particules invisibles qui pourraient constituer la matière noire: "On espère créer de nouvelles particules qui pourraient être le cœur de la matière noire", précise Gaëlle Boudoul à RTSinfo. "Pour faire simple, on a une équation qu'on aime beaucoup: E=MC2... elle relie l'énergie (E) – nous, on fait des collisions, donc de l'énergie – à de la masse (M), qui est de la matière, des particules. On a créé le boson de Higgs et on espère aussi créer d'autres particules qui seraient des candidates à la matière noire".*
Les collaborations ATLAS et CMS continueront d'étudier la nature du boson de Higgs grâce aux données obtenues lors de la troisième période d'exploitation du LHC, qui commence mardi à une nouvelle frontière des hautes énergies, puis, à partir de 2029, du LHC amélioré – le LHC à haute luminosité (HL-LHC).
* C2 signifie la vitesse de la lumière au carré
ats/sjaq