Meta semble disposé à signer un gros chèque pour s’éviter un procès en lien avec le scandale Cambridge Analytica.
En 2016, l'entreprise britannique avait utilisé des données, siphonnées sur Facebook, pour aider la campagne présidentielle de Donald Trump à mieux cibler ses messages aux électeurs et influencer les élections américaines. L'affaire est révélée le 16 mars 2018.
>> A lire : Facebook suspend une entreprise liée à la campagne de Donald Trump
À l'origine, les révélations du lanceur d'alerte Christopher Wylie, 28 ans, un jeune analyste canadien qui a travaillé pour Cambridge Analytica de 2013 à 2014. "Nous nous sommes servis de Facebook pour collecter des millions de profils d'utilisateurs et bâtir des modèles ciblant leurs préférences et leurs démons intimes" révèle-t-il au journal The Guardian.
Si l'impact réel sur l'élection présidentielle du ciblage plus précis permis par cette manoeuvre est sujet à débat, ce scandale a durablement entaché l'image de Meta, aussi bien auprès du public que des législateurs, et ce non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Mark Zuckerberg a dû rendre des comptes devant le Sénat américain. "Nous n'avons pas eu une vision assez large de notre responsabilité. Et c'était une grosse erreur. Mon erreur. Et je suis désolé", dit-il devant la commission. Il joue le PDG contrit, il est humble. Il suit les règles de l'exercice.
Dans les coulisses de l'affaire
Le vrai scandale de l'affaire Cambridge Analytica, c'est la manière dont les données de 87 millions d'utilisatrices et utilisateurs de Facebook ont été utilisées par la firme britannique. Elle a réussi à créer un redoutable système de modèles psychographiques, capable de cibler et d’orienter les votants, grâce à des messages cousus main.
Nous sommes en septembre 2016. Alexander Nix - alias "Bertie" pour les intimes -, futur ex-PDG de Cambridge Analytica, arrive fièrement sur scène. Il donne une conférence lors du Concordia Summit à New York sur le pouvoir du big data dans les élections globales. Une chanson retentit dans la salle, avec des paroles presque prémonitoires: "Je vois monter la mauvaise lune, je vois venir les problèmes.". Il s'agit de "Bad Moon Rising" de Creedence Clearwater Revival.
Nix est la coqueluche du monde de la publicité basée sur les données. Cambridge Analytica vient de finir son mandat pour un autre candidat à la nomination républicaine, Ted Cruz. Un illustre presque inconnu, devenu rapidement le seul prétendant sérieux face à Donald Trump. "Mais comment a-t-il fait"? lance Nix à l'assemblée. "La plupart des compagnies divisent leurs audiences sur la démographie et la géographie". "Mais c'est complètement ridicule", lance-t-il. Envoyer le même message aux femmes parce qu'elles sont des femmes, ou aux Afro-Américains, aux riches ou aux pauvres, ça n'a aucun sens", explique-t-il avant de dévoiler la structure intime du système.
L'arme fatale
Ce qui intéresse Cambridge Analytica ce n'est pas l'âge, le sexe ou la couleur politique des utilisatrices et utilisateurs de Facebook, mais plutôt leur caractère. Introvertis? Extravertis? Avoir cette information permettrait de micro-cibler le message électoral adéquat. C'est la personnalité qui influence le comportement des gens et les pousse à voter d'une certaine manière.
Et pour la saisir, Cambridge Analytica utilise des tests de personnalité qui rencontrent beaucoup de succès sur le réseau social. Ces données, la firme les croise avec les "like" et les centres d'intérêt. L'entreprise travaille dur pour développer des douzaines de variations publicitaires sur différents thèmes politiques tels que l'immigration, l'économie et les droits des armes à feu, tous adaptés à différents profils de personnalité.
Les "Big Five"
Les catégories de personnalité correspondent au modèle des Big Five: ouverture, conscienciosité (tendance à la discipline), extraversion, agréabilité (tendance à être compatissant), neuroticisme (tendance à l’instabilité émotionnelle).
La méthode de Cambridge Analytica: cibler la psychologie pour mieux influencer, sans que les gens s'en rendent compte.
Pour les profil consciencieux, le message du spot électoral sur le deuxième amendement de la Constitution américaine qui donne le droit de porter une arme est simple: "Le second amendement n'est pas seulement un droit mais une police d'assurance".
La fin, on la connaît. Alexander Nix a vu "monter la mauvaise lune". Il sera suspendu avant la disparition définitive de l'entreprise en mai 2018.
Faire Ctrl+Z?
Et si on reprenait tout dès le début? Difficile mais pas impossible. Il faut s'attaquer à ce qui est devenu l'ADN des réseaux sociaux: le microciblage publicitaire. La lanceuse d'alerte Frances Haugen, qui a fait fuiter l'an dernier des documents internes embarrassants pour Facebook, vient d'annoncer le lancement d'une ONG chargée d'assainir les réseaux sociaux. Elle aimerait faire "Ctrl+Z" (ndlr: annuler la dernière action), donner aux internautes des solutions pour les aider à contrôler leur utilisation des différentes plateformes.
L'organisation créera une base de données dont le code source est libre d’accès (open source) pour documenter les manquements légaux et éthiques des grandes plateformes et cerner des solutions.
Miruna Coca-Cozma