L'engin spatial s'est envolé dans la coiffe d'une fusée Falcon 9 de l'entreprise américaine SpaceX à 11h12 locales précises; il était 17h12 en Suisse.
Euclid, qui pèse deux tonnes, va être placé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans un endroit de l'espace appelé le point Lagrange 2, là où se trouve notamment un voisin célèbre, le télescope spatial James Webb. Sa mission durera six ans, voire dix selon les prédictions des spécialistes.
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Euclid, du nom du scientifique grec père de la géométrie, a pour mission de trouver des éléments d'explications sur ce qui constitue l'énergie et la matière sombre.
Le professeur Stéphane Paltani, cosmologiste à l'Université de Genève a fait le déplacement en Floride; son groupe d'étude a été très impliqué dans ce projet scientifique et travaille depuis une douzaine d'années sur Euclid (lire encadré): "Nous avons fait 90% de la contribution Suisse", souligne-t-il. Une fierté légitime, vu les enjeux scientifiques. Cela constitue également une partie majeure de la carrière du scientifique.
"La plus grande question à laquelle Euclid va essayer de répondre, c'est quelle est la nature de la chose la plus mystérieuse de tout l'Univers, quelque chose qui n'est même pas de la matière, dont on a en réalité aucune idée de ce que c'est", remarque-t-il au micro de RTSinfo. "On lui a donné le nom 'énergie noire': ça ne veut rien dire parce qu'on ne sait vraiment pas ce que c'est".
Beaucoup de mystères à résoudre
Il rajoute encore qu'Euclid sera la première expérience qui pourra donner une indication sur sa nature. Le défi est grand: "20% de matière noire, 75% d'énergie noire... il n'y a que 5% de matière qui vous compose, qui compose la Terre, les étoiles, toutes les galaxies".
Matière et énergie sombre ont des effets opposés: la première exerce une attraction qui assure la cohésion des galaxies, alors que la seconde provoque la dispersion des objets cosmiques.
Le satellite tâchera de mieux comprendre leurs propriétés, la manière dont elles agissent et évoluent à travers le temps.
Autre enjeu, mieux comprendre l'accélération de l'expansion de l'Univers qui aurait démarré il y a six milliards d'années. En remontant à 10 milliards d'années, Euclid pourrait observer les premiers effets de l'énergie sombre. Pour ce faire, la sonde dressera une carte en trois dimensions de l'Univers, englobant des milliards de galaxies, sur une portion d'un tiers de la voûte céleste, ce qui est gigantesque.
Grâce à la carte en 3D qui sera réalisée, avec également une dimension temporelle, le télescope permettra des mesures précises sur la distribution des galaxies et l'expansion de l'Univers.
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Camille Bonvin, cosmologiste à l'Université de Genève, est rentrée dans les détails de la mission du télescope dans Forum samedi: "Euclid va mesurer la distance des galaxies par rapport à nous. C'est important car la distance d'une galaxie permet de savoir à quel moment elle vivait, tout simplement parce que la lumière qu'elle émet met un certain temps à nous parvenir. Quand Euclid la percevra, il ne verra pas à quoi la galaxie ressemble maintenant, mais comment elle était au moment où elle l'a émise. Il verra donc la galaxie dans le passé."
L'immense quantité de données récoltées seront rendues publiques pour que la communauté scientifique puisse s'en saisir, à la suite des quelque 2600 chercheuses et chercheurs membres du consortium Euclid, issus d'une quinzaine de pays.
"Nous espérons que cela va mener à une révolution de nos connaissances: de manière comparable à ce qui s'est passé au début du XXe siècle avec la découverte de la physique quantique et de la relativité générale", disait Martin Kunz, professeur à l'Université de Genève, cosmologiste théorique et coordinateur suisse pour Euclid, le 29 juin au 19h30. Les attentes sont grandes.
Stéphanie Jaquet en Floride / juma avec les agences
Différentes implications suisses
La plus grosse participation a été fournie par l'Université de Genève. Ses équipes de recherche ont notamment développé des algorithmes permettant de mesurer la distance des galaxies. L'UNIGE héberge aussi l'un des dix centres de données Euclid, dont les supercalculateurs traiteront l'énorme volume de données produit par la mission.
Le département d'astronomie genevois a été le maître d'œuvre d'un obturateur mécanique pour l'un des deux instruments scientifiques, l'imageur optique VIS. Ce mécanisme est un dispositif complexe qui doit fonctionner dans un environnement très froid (-160 C) avec une fiabilité et une précision extrêmes.
Chercheurs et chercheuses de l’UNIGE ont encore joué un rôle central dans le projet Euclid en fournissant des conseils sur ses objectifs scientifiques, en contribuant de manière significative au développement et à la validation d'outils de prédiction des performances d'Euclid. Leur recherche est principalement axée sur l'utilisation des données collectées par Euclid pour mieux comprendre la théorie de la gravité et explorer de nouvelles approches pour remettre en question la théorie de la relativité générale d'Einstein. Ces scientifiques sont également à la pointe de l'étude des effets relativistes en cosmologie et ont conçu des méthodes pour modéliser et observer ces effets à l'aide d'Euclid.
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Les scientifiques de l'
EPFL
se concentrent sur le phénomène de lentille gravitationnelle forte. Ce phénomène se produit lorsqu'une galaxie massive – la lentille –, un groupe de galaxies ou un amas de galaxies dévie les rayons lumineux d'une autre source de lumière en arrière-plan. Cette source d'arrière-plan est alors vue plusieurs fois et souvent plus brillante qu'elle ne l'est en réalité.
Les lentilles fortes offrent de nombreuses applications scientifiques. Elles peuvent être utilisées comme un télescope naturel (gravitationnel) qui grossit naturellement les objets éloignés. Elles peuvent être utilisées pour peser les galaxies lentilles, y compris leur contenu en matière noire, ou pour mesurer le taux d'expansion de l'Univers, connu sous le nom de constante de Hubble. Cependant, les lentilles fortes sont rares : parmi les milliards de galaxies qu'Euclid verra, seuls 100'000 objets de ce type sont attendus.
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Les scientifiques de l'Université de Zurich se préparent aux observations attendues d'Euclid en créant et testant des simulations informatiques avancées qui reproduisent la répartition des galaxies dans l'espace. Les cosmologistes étudient comment les observations d'Euclid peuvent être utilisées pour étudier les propriétés de la matière noire dans notre univers en examinant l'impact des "effets relativistes" sur les observations. Ces effets sont dus au fait que la lumière provenant des galaxies doit traverser un Univers où la matière n'est pas uniformément répartie pour atteindre le télescope.
Euclid observera des milliards de galaxies, ce qui produira d'énormes quantités de données. La Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW) a mis en place des composants clés pour leur traitement, permettant également leur distribution dans des centres de calcul répartis dans le monde entier. Les scientifiques gèrent aussi le flux de travail extrêmement complexe du pipeline de traitement des données. L'équipe développe encore des modèles d'apprentissage profond visant à identifier automatiquement différents types de galaxies.