Modifié

Et si l'intelligence artificielle nous permettait de communiquer avec les animaux?

Des chercheurs suisses utilisent l’intelligence artificielle pour tenter de comprendre le langage des singes
Des chercheurs suisses utilisent l’intelligence artificielle pour tenter de comprendre le langage des singes / 19h30 / 2 min. / le 13 décembre 2023
L'intelligence artificielle pourrait-elle nous aider à déchiffrer la communication animale? Les progrès de cette technologie pourraient permettre une communication directe entre l'homme et l'animal. Des chercheurs travaillent sur des projets innovants, notamment à l'Université de Neuchâtel.

Et si un jour, nous pouvions comprendre les animaux ? Décrypter les miaulements d'un chat, le chant des oiseaux ou le cri d'un singe ? Les avancées de l'intelligence artificielle (IA) pourraient ouvrir la voie à une communication directe entre l'homme et l'animal. Cette progression rapide a trouvé un écho chez les scientifiques qui travaillent depuis des années au décryptage de la communication animale.

Sur le papier, l’idée est simple. Aujourd'hui, les IA arrivent à générer du texte, des images, des vidéos ou de l'audio. Il est possible de créer des voix humaines et de les faire parler dans toutes les langues uniquement en tapant un texte sur son ordinateur. Alors pourquoi ne pas transformer ce texte en aboiement ou en chant de baleine ?

Earth Species Project, fondé il y a 6 ans pour amener l'IA aux zoologistes, a désormais pour objectif de créer un chatbot audio afin d'échanger avec différentes espèces. Le pari n'est peut-être pas aussi fou qu’il y paraît.

Décoder le chant des oiseaux

Le diamant mandarin est un petit oiseau étudié dans de nombreux laboratoires. "On connaît l'intégralité de son répertoire de cris. On sait à quoi ils correspondent, dans quel contexte ils sont émis et quel type d'informations ils portent", explique à la RTS Nicolas Mathevon, spécialiste de bioacoustique, et auteur du livre "les animaux parlent".

Un diamant mandarin mâle au bec rouge. [Luis Casiano / Biosphoto]
Un diamant mandarin mâle au bec rouge. [Luis Casiano / Biosphoto]

"Si on met un haut-parleur au milieu d'une colonie de diamant mandarin, on est capable d'interagir avec eux de manière intelligente, en quelque sorte". Pour d'autres espèces, les chercheurs sont encore loin du compte.

"On est encore très, très loin de comprendre le sens profond de vocalisations d'animaux qui semblent avoir d'énormes répertoires, comme pour la baleine par exemple", tempère Nicolas Mathevon.

Générer des sons

Les IA génératives peuvent théoriquement être employées pour créer des sons qui ressemblent aux vocalisations animales, mais ces sons ne signifient rien tant qu'on ne comprend pas le code utilisé par les animaux. Il est important de noter que les animaux ne communiquent pas de la même manière que les humains.

Nous sommes encore loin de pouvoir converser avec les animaux, car la communication animale n’est pas faite que de cris. Elle s’inscrit dans un contexte, une hiérarchie, des expressions, des postures ou des gestes. Cela n’empêche pas la recherche de progresser rapidement.

Gorille au zoo de Bâle [Keystone - Georgios Kefalas]Keystone - Georgios Kefalas
Quand l'intelligence artificielle décode le langage animal / La Matinale / 4 min. / le 13 décembre 2023

Aujourd'hui déjà, des IA ont été entraînées pour reconnaître l’émotion d'un animal. Des chercheurs européens et suisses ont, par exemple, planché sur les émotions des cochons. A partir d'un simple grognement, l'algorithme est capable de décoder l’humeur du porc. Pour quoi faire ? Mieux comprendre les émotions des cochons et offrir un outil aux éleveurs pour s'assurer du bien-être de leurs bêtes.

L'IA pour observer les grands singes

Désormais, il n’est plus farfelu d'avoir un expert en intelligence artificielle au sein d'une équipe de recherche sur le comportement animal. C'est le cas à l'Université de Neuchâtel.

La primatologue Émilie Genty observe les grands singes depuis une vingtaine d’années. Aujourd'hui, elle parvient à interpréter ce qui se joue dans un groupe.

"On a établi les répertoires de gestes de chaque espèce de grands singes, et on est capable de dire, dans un contexte donné, quelle était l'intention de communication. Par exemple, s'il a envie de jouer avec son partenaire, s'il aimerait que l'autre s'approche ou qu'on le toilette à cet endroit".

Un loft de chimpanzés

Ici, l'intelligence artificielle pourrait, dans un premier temps, permettre de récolter un gros volume de données et les interpréter aussi beaucoup plus rapidement. Elle développe aujourd'hui avec Michael Fuchs, spécialiste de l'IA, un modèle pour recenser toutes les interactions entre les grands singes du zoo de Bâle.

Les chimpanzés sont désormais filmés 24h/24h. Pour l'instant, l'ordinateur décrit et reconnaît automatiquement les comportements. Une montagne de nouvelles données qui pourraient se transformer en découverte.

Un chimpanzé au zoo de Bâle. [RTS]
Un chimpanzé au zoo de Bâle. [RTS]

"Humainement, on est limité par le nombre de vidéos qu'on peut regarder", explique Michael Fuchs. "Si on a des systèmes qui sont performants, on va pouvoir étendre bien au-delà la collection de données et peut-être aussi reconnaître des choses qu'on n’a pas du tout vu avec nos yeux humains, mais que peut-être la machine pourra reconnaître".

Pour faire quoi?

L'objectif de ces deux chercheurs est de comprendre comment les singes communiquent entre eux pour décrypter leur société. "Les grands singes sont les représentants modernes les plus proches de ce qu'étaient les premiers hommes. Et en étudiant la façon dont ils communiquent, on essaie de reconstruire les étapes qui ont mené à l’évolution du langage humain tel qu'on le connaît aujourd'hui", espère Émilie Genty.

Pour ce qui est d'un traducteur automatique qui permettrait à l'humain de parler avec les singes, on en est encore loin. Et ce n'est d'ailleurs pas le but recherché par ces chercheurs.

"Je ne vois pas très bien quel est l'intérêt d'un animal de communiquer avec nous", estime Émilie Genty. "Nos animaux domestiques ou captifs pourraient par exemple nous demander à manger, mais n'est-on pas déjà capable de les comprendre? Cela pose des questions éthiques. Une des applications intéressantes pour les deux parties pourrait être de nous communiquer s'ils se sentent bien ou s'ils ont mal quelque part".

Des questions qui se poseront un jour peut-être. L'intelligence artificielle reste un outil puissant pour la recherche sur la communication animale, mais pour l’instant, elle ne peut pas remplacer les observations et les analyses menées par des chercheurs humains.

Pascal Wassmer, Feriel Mestiri

Publié Modifié