Quand les technologies d'intelligence artificielle produisent du texte, des images, des sons ou des vidéos en quelques secondes, elles consomment énormément d'énergie, majoritairement d'origine fossile. D'importantes dépenses énergétiques que l'on peut aujourd'hui quantifier.
Un exemple très simple: générer un millier d'images avec une IA performante revient à rouler six kilomètres et demi en voiture. C'est le résultat auquel sont arrivés des chercheurs de l'Université Carneggie Mellon et de la startup Hugging Face. Et créer un millier de textes avec l'IA reviendrait à recharger un sixième de son smartphone – c'est un ordre de grandeur.
Pour Alex de Vries, chercheur à l'Université libre d'Amsterdam et créateur du site digiconomist.com, c'est l'avenir, bien plus que le présent, qui doit nous inquiéter. Il vient de publier une étude sur le sujet.
"J'ai regardé comment les capacités de production de ces machines vont très probablement se développer ces prochaines années. Et on voit que d'ici 2027 on produira plus d'un million de serveurs pour l'intelligence artificielle – des serveurs de très haute capacité. On parle là de machines qui, par unité, consomment plus d'énergie que plusieurs ménages américains réunis. Donc si on a un million et demi de ces machines, la consommation d'énergie pourrait être équivalente à celle de mon pays d'origine, les Pays-Bas. Et bien plus que celle de la Suisse ... au total."
Eviter une surconsommation d'énergie
Certains appellent à une régulation plus stricte de l'usage de l'intelligence artificielle de la part des gouvernements. D'autres parient sur les développements technologiques. Boy Faltings, professeur à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et directeur du laboratoire d'intelligence artificielle, défend le développement d'ordinateurs "neuromorphiques", plus optimisés.
"Les techniques utilisées pour les modèles comme ChatGPT sont basées sur ce qu'on appelle des réseaux de neurones artificiels, inspirés du cerveau. Et dans le cerveau, on n'a pas une unité centrale qui fait tout le travail et une grande partie de mémoire qui est alimentée en électricité et qui ne fait rien – comme dans un ordinateur traditionnel –, mais il y a tout qui travaille en même temps. Et l'idée des ordinateurs neuromorphiques, ça serait d'avoir une structure similaire, c'est-à-dire que toute la mémoire et le traitement sont intégrés et l'ensemble travaille en même temps quand l'électricité est consommée".
Le but est donc de maximiser l'efficience de la machine par rapport à l'énergie utilisée et rendre ainsi les systèmes moins énergivores. Mais c'est sans compter avec ce qu'on appelle le paradoxe de Jevons, ou "effet-rebond".
Le paradoxe de Jevons
Selon ce "paradoxe", on constate que lorsqu'on augmente l'efficacité énergétique d'un produit, son utilisation est plus fréquente et l'énergie totale utilisée augmente aussi. Ce paradoxe tire son nom de l'économiste britannique William Stanley Jevons, qui avait observé ce phénomène d'"effet-rebond" à propos du charbon. Au XIXᵉ siècle, William Stanley Jevons s'alarme en effet de la diminution des réserves de charbon. Il constate que plus les méthodes d'extraction du charbon deviennent efficaces, plus le prix du charbon baisse, et plus la demande augmente.
Alex de Vries explique: "Rendre les processus de production plus efficaces n'a jamais vraiment abouti à une diminution de l'utilisation totale des ressources. Il existe tout un historique de changements technologiques et d'automatisations où l'on observe systématiquement que l'impact n'est pas une économie de ressources. Alors oui, par bien et par service, on économise. Mais au total, on risque toujours de consommer plus qu'avant quand ces biens et ces services sont produits avec une plus grande efficience."
Même si le paradoxe de Jevons est quelquefois critiqué, la théorie s'est souvent vérifiée, du cas de l'éclairage à celui de la voiture, en passant par les outils ménagers ou encore le téléchargement de contenus. Multiplier les outils à basse consommation revient souvent à augmenter la consommation énergétique totale. Et si ce scénario se confirme une nouvelle fois avec l'intelligence artificielle, cette dernière nous mènera à consommer plus d'énergie, dont de l'énergie fossile.
Sujet radio: Katja Schaer
Adaptation web: Julien Furrer