Après un long parcours, "la poussette est une grande victoire", témoigne un couple de mamans lesbiennes
En septembre 2021, 64% des Suissesses et des Suisses s'étaient prononcés dans les urnes en faveur du mariage pour tous. Un net oui qui avait aussi donné aux couples de lesbiennes le droit d’accéder au don de sperme.
Aujourd’hui, les premières familles homoparentales de Suisse ont officiellement vu le jour, mais au prix de longues démarches administratives, de difficiles moments d'attente et de fortes émotions à toutes les étapes. L'émission de la RTS Mise au point a pu suivre durant deux ans le parcours de Sophie et Nathalie Barby vers la maternité.
Une envie pas toujours acceptée par l'entourage
Pour Nathalie et Sophie, l'aventure commence le 1er juillet 2022. Quatre ans après leur rencontre, les deux trentenaires valaisannes se marient le jour même de l'introduction du mariage pour tous. "On avait envie de porter le même nom de famille et de fonder une famille", confie Nathalie.
Les deux jeunes femmes relèvent qu'elles ont parfois eu de la peine à faire accepter cette envie à leurs proches, et surtout Nathalie: "De mon côté, c'était compliqué à concevoir que je sois avec une femme. Pendant longtemps, on m’a dit que j’allais devoir renoncer à me marier et à avoir des enfants. Pendant longtemps, je n’ai pas voulu aller contre cela, parce que c’était trop à digérer pour mon entourage."
Le couple lance cependant les démarches peu après le mariage et décide que c'est Sophie qui portera l'enfant.
Des échecs en série
Nathalie et Sophie se rendent au CHUV à Lausanne. C’est la première fois que l’unité de médecine de la fertilité reçoit un duo de femmes. Pour l'heure, leur futur enfant se trouve dans un laboratoire du CHUV où les spermatozoïdes de plusieurs dizaines de donneurs sont stockés à -196 degrés. Le personnel doit choisir parmi des hommes aux physiques très différentes, afin de trouver un donneur aux caractéristiques similaires aux mères de l'enfant.
Il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec ce que l’on fait, mais on ne leur demande pas leur avis, c’est notre vie
Un mois plus tard, un donneur a été attribué au couple et Sophie a reçu une première insémination. Les deux femmes doivent attendre plus de deux semaines pour pouvoir effectuer un premier test de grossesse. Toutes deux veulent y croire, tentent de se projeter et scrutent tous les signes. Mais le test s'avère finalement négatif.
La déception passée, le couple décide de passer à une fécondation in vitro pour augmenter les chances de réussite. Durant plus de six mois, Sophie multiplie les transferts d’embryons, sans jamais tomber enceinte. Des échecs en série qu’elles vivent difficilement.
Le soulagement
Puis le test est enfin positif. "C’est mille kilos qui s’envolent de mes épaules. Au bout de la troisième fois, on commence à se demander si j’étais capable de porter un enfant", souffle Sophie. Et Nathalie d'ajouter: "Même quand le résultat était positif, j’ai eu de la peine à y croire. C’était très bizarre au niveau des émotions, ça ne m’a rien fait ressentir. Il a fallu attendre de voir l’échographie pour réaliser."
C’est comme si Sophie avait été enceinte pendant deux ans
Les deux femmes peuvent enfin se réjouir, même si le regard des autres demeure parfois pesant. "On sait que dans notre entourage qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec ce que l’on fait, mais on ne leur demande pas leur avis, c’est notre vie. On a fait un choix, on est intimement convaincues", confie Sophie. Le couple a toujours voulu cette évolution et avait "besoin d'être parents". "On est encore plus amoureuses et heureuses qu’avant! On l'explique et peut-être qu’un jour ça rentrera", conclut la future maman.
Si certains n'adhèrent pas à leur projet, ce n'est pas le cas de Liliane, la grand-mère de Sophie âgée de 87 ans: "A l’heure actuelle, il y a tellement d’enfants qui sont élevés soit par le papa, soit par la maman à cause du nombre de divorces. Deux mamans, c’est deux fois plus d’amour. Je trouve tout à fait normal, elles sont tellement bien ensemble. Ce bébé est tellement désiré, je vois quelque chose de magnifique ."
La grossesse devient peu à peu visible et le nid familial prend forme. "Il y a clairement de l’impatience. Cela fait tellement longtemps. C’est comme si Sophie avait été enceinte pendant deux ans", constate Nathalie.
Celle-ci doit aussi se projeter en tant que mère d'un enfant qu'elle n'aura pas porté et avec lequel elle ne partagera aucune génétique. Et c'est parfois difficile: "C’est très dur de ressentir cela pour la femme avec qui on partage sa vie, mais il y a un petit peu d’envie, quelque chose qui s’apparente presque à de la jalousie. Ce n’est vraiment pas un sentiment agréable."
Tous les soucis oubliés
Au printemps, après deux ans d'attente, Sophie et Nathalie savourent enfin leur moment de bonheur avec Mika, leurs fils de 3,6 kilos pour 50 centimètres. "On le regarde et on oublie presque tous les soucis d’avant et futurs. On est dans le présent et c’est génial", se réjouit Sophie. "Il y a presque une part d’incrédulité, comme si c’était trop beau pour être vrai. Des moments, il dort, on entend un petit gazouillis et on réalise qu’il est là. C’est trop bien", ajoute Nathalie.
Il est devenu tout de suite mon fils et point barre. Il n’y avait plus aucune question, plus aucun doute. Je suis sa maman, j’ai mon rôle
A trois, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre. Un sentiment de légèreté qui a fini par chasser les angoisses. "Ça a été long pour en arriver là. Au final, on y est et on oublie", commente Nathalie. "On peut dire que la poussette est une grande victoire", poursuit Sophie.
Nathalie dit s'être sentie maman instantanément, dès la naissance de Mika: "Il est devenu tout de suite mon fils et point barre. Il n’y avait plus aucune question, plus aucun doute. Je suis sa maman, j’ai mon rôle."
Si Nathalie et Sophie ont accepté de témoigner, c’est surtout pour que leur différence soit acceptée, pour que les familles arc-en-ciel ne soient plus diabolisées, pour que leur fils soit accepté dans la société. "Il a entièrement sa place dans une famille complètement normale, entre guillemets, mais totalement différente des autres. Et le fait que la société ne voie plus de problème ou de différence, ça l’aidera à grandir et à s’épanouir beaucoup plus", relève Sophie.
Aujourd'hui, Mika grandit dans une famille sans papa, mais avec deux mamans. Et le couple rêve maintenant d'un deuxième enfant. Et cette fois, c'est Nathalie qui le portera.
Reportage TV: Romain Boisset
Texte web: Frédéric Boillat
De plus en plus d'enfants avec deux mamans en Suisse
On estime que jusqu'à 30’000 enfants grandissent aujourd'hui en Suisse dans des structures familiales où au moins lʹun des parents ne se définit pas comme hétérosexuel. Souvent, c’est l’enfant préexistant de l’un des deux partenaires, mais cela comprend aussi les adoptions et des bébés conçus dans des cliniques étrangères. Et depuis l'introduction du mariage pour tous, il y a les enfants qui, comme Mika, sont conçus en Suisse.
Mais ce n'est possible que pour les femmes. Les couples d’hommes n’ont encore aucun moyen de concevoir un enfant biologique en Suisse, puisque le droit interdit les mères porteuses.
Les chiffres sont encore très partiels sur les cas d'enfants conçus en Suisse par des couples de femmes, puisque la Confédération n’a pas encore compilé toutes les données. Mais rien qu’en 2022, sur les six derniers mois de l’année, 70 couples de femmes ont bénéficié d’un don de sperme à travers le pays.
Au CHUV, Sophie et Nathalie ont été les premières. Et on constate une augmentation de la demande. Il y avait deux couples en 2022, il y en a cinq cette année et quatre qui vont prochainement se lancer dans cette aventure.