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Ces prêtres qui ont quitté le clergé pour vivre l'amour

Ces prêtres qui tombent amoureux
Ces prêtres qui tombent amoureux / Mise au point / 16 min. / dimanche à 20:10
Depuis le 12e siècle, l'Église catholique impose le célibat à ses prêtres. Cette exigence est parfois remise en question par les prêtres eux-mêmes, mais aussi par leurs proches et les fidèles. L'émission Mise au point a rencontré ces hommes qui ont choisi de quitter le clergé pour vivre leur amour au grand jour.

Jean-Charles Roulin a été prêtre de 1989 à 2006. Durant tout ce temps, le Fribourgeois a rempli avec passion son engagement religieux. Mais au fil du temps, la solitude du célibat est devenue un fardeau trop lourd à porter pour lui.

"Tout le monde n'est pas fait pour vivre cet appel au célibat (...) Je ne pourrais pas dire que j'ai été appelé au célibat, mais on se sent appelé à devenir prêtre, à exercer dans un ministère, à faire de la pastorale. On sait ce que ça veut dire pour l'Eglise catholique d'être célibataire (...) Mais le célibat est quelque chose qui devrait, à mon sens, rester un choix", témoigne-t-il dans l'émission de la RTS Mise au point.

Jean-Charles Roulin à l'époque où il officiait en tant que prêtre. [RTS - Mise au point]
Jean-Charles Roulin à l'époque où il officiait en tant que prêtre. [RTS - Mise au point]

Il y a quelques années, sa rencontre avec Tina, une fervente catholique, mère célibataire et originaire d'Argentine, a bouleversé sa vie. Leur amour est né à l'église, Tina sur le banc des fidèles et Jean-Charles derrière l'autel dans son habit de prêtre.

A l'époque, Tina Rospide Roulin voyait les prêtres comme des hommes entre Dieu et les fidèles. Elle n'aurait jamais imaginé tomber amoureuse d'un homme d'Église.

"Je n'ai jamais vu Jean-Charles comme un homme, car je le voyais comme un prêtre. A l'époque, je n'étais pas à l'aise et d'ailleurs je l'ai vouvoyé très longtemps. A l'église, tout le monde l'appelait 'Jean-Charles', et moi je disais 'Mon père'. A chaque fois, on sentait qu'il y avait quelque chose, mais je ne voulais pas le voir", explique-t-elle.

Invité à prêcher

Malgré leur parcours, Jean-Charles et Tina restent fidèles à l'Eglise. Il y a quelques mois, le mari a même été invité par un ancien collègue à prêcher à l'occasion de la Semaine sainte... Un acte qui lui est normalement interdit.

"Je me suis retrouvé face à une assemblée à essayer de partager ma foi et l’Evangile. Ça m’a fait un bien fou", confesse-t-il.

Je le dis au présent, je suis prêtre, ça fait partie de mon histoire, de mon identité

Jean-Charles Roulin

Pour sa femme, ce retour derrière l'autel a été chargé d'émotion. "J'ai pleuré. A la sortie de l'église, les gens venaient vers lui et lui disaient 'C'est incroyable ce que vous avez dit, vous nous faites du bien'. Je me demandais, pourquoi Seigneur ne peut-il pas continuer à faire ça?"

Et Jean-Charles Roulin de répondre: "Mais je continue, mais ailleurs. C'est ce qui m'a permis de trouver un sens à toute la suite, à la vie de famille. Je le dis au présent, je suis prêtre. Pour moi, ça fait partie de mon histoire, de mon identité. Mais j'ai fait un choix où je sais que je suis privé de ministère. Ça changera un jour. Je ne sais pas si je le verrai, mais je suis assez serein".

Un amour clandestin

Marc Fassier a été prêtre de 2004 à 2021 dans le diocèse de Saint-Denis, près de Paris. C'est en 2018 qu'il découvre l'amour avec Ingrid, une paroissienne rencontrée lors du baptême de son dernier enfant. Très vite, une relation de confiance et d'amitié naît, avant que leur histoire ne se transforme en un amour clandestin.

"Un jour, Marc m'a proposé de venir au presbytère. Au moment de lui faire la bise pour lui dire au revoir, je l'ai embrassé sur la bouche", se remémore Ingrid Looten Marienval.

Pour Marc, ce moment est fort de révélation. "Je pense que c'était le dernier verrou qui m'a permis de me dire 'Tu as le droit d'aimer et d'être aimé', expose-t-il.

"La sexualité est partout"

Pendant quinze ans, Marc Fassier est resté chaste. Mais il découvre rapidement que beaucoup de religieux autour de lui ont une sexualité. Commence alors, à l'époque, le début d'une prise de conscience sur le monde de l'Eglise.

J'ai eu envie de vivre quelque chose de sain et d'humain

Marc Fassier

"Plus j'avançais et plus je découvrais que nous sommes en réalité dans un monde hypersexualisé à force de ne pas en parler, à force de mettre un secret sur cette question. La sexualité est partout, on construit un système malsain, et moi, j'ai envie de vivre quelque chose de sain et d'humain", développe-t-il.

"L'assumer frontalement, vis-à-vis de l'institution"

Durant deux ans, Marc et Ingrid vivent cet amour clandestin. Le couple sait que le prêtre va quitter le clergé à court terme. En 2021, ils sont finalement devancés par une lettre anonyme qui dénonce leur relation, menant à la convocation de Marc par son évêque.

"Il m'a dit: 'Maintenant, il y a trois conditions: que tu t'éloignes géographiquement d'elle; que tu t'assures que tu sois vraiment libre par rapport à elle; et que tu sois accompagné psychologiquement'. Je comprends qu'il veut être dans la sanction, dans la culpabilisation, dans le fait que je me sente fautif, et dans la protection de l'institution", raconte Marc Fassier.

Marc Fassier avec sa compagne Ingrid Looten Marienval. [RTS - Mise au point]
Marc Fassier avec sa compagne Ingrid Looten Marienval. [RTS - Mise au point]

Et de poursuivre: "Là j'ai changé de cap et je me suis dit que j'allais non seulement l'assumer, mais aussi l'assumer frontalement vis-à-vis de l'institution. Quelque part, ça va devenir un acte militant".

Le quadragénaire est finalement suspendu de toutes ses fonctions, y compris à l'Institut catholique de Paris, où il enseignait.

Il quitte sa femme enceinte pour l'Eglise

Dans certains cas, l'Eglise va encore plus loin dans son application du célibat. Encouragé par un responsable spirituel, Didier Berthod quitte sa compagne, enceinte de quelques mois, à l'âge de 25 ans, pour se donner corps et âme à la religion dans un monastère valaisan.

"Du moment que j'étais appelé par Jésus à être son disciple, je pouvais me permettre cela. Il est dit qu'on a le droit de quitter femme et enfant pour être disciple, ce qu'un prêtre a confirmé. Il m'a dit: 'Regarde Dieu, il peut conduire comme cela des personnes. Ça va se mettre en place, je suis sûr que la maman va se mettre en couple et ta fille aura un papa'", explique Didier Berthod, qui sera ordonné prêtre en 2018 après une décennie de vie monastique.

En 2018, Didier Berthod a été ordonné prêtre. [RTS - Mise au point]
En 2018, Didier Berthod a été ordonné prêtre. [RTS - Mise au point]

"Une deuxième chance"

Trois ans après ses voeux, toutes les certitudes de l'ancien grimpeur, spécialiste des fissures, s'effritent. Il décide de renouer avec son passé et rejoint sa fille et son ex-compagne, établies au Canada. Cette longue séparation n'aura pas eu raison de leur amour, qui renaîtra très vite.

"Une deuxième chance comme ça, ça n'est offert à personne", reconnaît le Valaisan, qui s'estime chanceux d'avoir pu renouer une relation amoureuse avec la mère de sa fille, et avoir pu redémarrer une relation avec son enfant qu'il n'avait jamais vue.

Il faut mettre sur la table la sexualité et la vie cachée des prêtres

Didier Berthod

"En même temps, je quittais mon pays, je quittais mon continent. Je n'avais plus de métier, j’avais 40 ans passés. Mais je sentais que c’était très audacieux, que c’était juste, et que ça allait être bon."

Aujourd'hui, Didier Berthod, sa compagne et leur fille forment une famille. L'ancien prêtre assume son passé, mais selon lui, l'Eglise doit changer.

"Il y a des problèmes dans le catholicisme, mon histoire le montre. Il faut mettre sur la table la sexualité, la vie cachée des prêtres, la place de la femme", et de conclure en demandant à l'Eglise catholique d'empoigner cette question.

>> Revoir le reportage de Passe-moi les jumelles dédié à Didier Berthod en 2012 :

Sur un rocher qui domine Bramois. [Romain Guélat]
Didier Berthod: la voie de l’âme / Passe-moi les jumelles / 26 min. / le 21 septembre 2012

Sujet TV: Garance Aymon

Article web: Jérémie Favre

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Charles Morerod: "Si le pape ne prend pas la décision, personne d'autre ne peut le faire"

Pour évoquer la question du célibat des prêtres, l'émission Mise au point s'est rendue à Fribourg pour parler à Charles Morerod, plus haut représentant de l'Eglise catholique en Suisse romande. Mais pour l'institution, l'autorisation des prêtres à vivre en couple n'est toujours pas à l'ordre du jour.

"Au synode des évêques, qui rassemble des délégués du monde entier à Rome, la question a été posée au pape. Il a répondu qu'en son âme et conscience il ne se sentait pas le droit de prendre une telle décision", explique l'évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.

Je crois à mon engagement. Le vivre pleinement est aussi quelque chose de positif

Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg

Se pose alors une question: qui peut prendre une telle décision? "Si le pape ne la prend pas lui, ce n'est personne d'autre", rétorque Charles Morerod.

L'évêque s'est-il déjà interrogé sur son propre célibat? "Oui, mais j'ai quand même opté pour le célibat. Je me suis posé la question plusieurs fois et ça me semble relativement normal. Mais je crois à mon engagement. Donc je pense que le vivre pleinement est aussi quelque chose de positif."

>> A lire aussi : Monseigneur de Raemy: le célibat des prêtres, "c'est une chance incroyable"

La Zöfra, l'association suisse pour les femmes de prêtres

Tous les prêtres ne trouvent pas le courage de quitter le sacerdoce, et ils sont nombreux à vivre une double vie. Gabriella Loser Friedli, fondatrice de la Zöfra, en sait quelque chose, elle qui a fondé une association suisse de femmes de prêtres, après avoir vécu en couple avec un prêtre en cachette pendant de longues années.

La majorité des prêtres aiment ce qu'ils font

Gabriella Loser Friedli, fondatrice de la Zöfra

En quinze ans, son association a aidé plus de 600 personnes. Aujourd'hui, la Zöfra travaille avec les autorités religieuses pour offrir des portes de sorties aux prêtres.

"Nous leur avons demandé de reprendre un maximum de personnes qu'ils jugent bons, pour qu'ils puissent continuer à travailler à l'intérieur de l'Eglise. La majorité des prêtres aiment ce qu'ils font et leur vocation est toujours la même. Seulement, la combinaison avec un couple n'est pas prévue. Nous avons essayé de leur dire que toutes les qualités que ces personnes ont ne vont pas être perdues uniquement parce qu'ils aiment quelqu'un à côté", explique-t-elle.