"Il y a une grande peur par rapport à cette disponibilité du porno, qui se comprend puisqu'on n'en parle finalement pas beaucoup, à part justement pour s'en inquiéter": c'est devant ce constat que Coline de Senarclens s'est lancée dans la rédaction d'un guide pratique à l'usage des parents, intitulé "Le porno, parlons-en", préfacé par Pro Juventute et Santé sexuelle Suisse.
"Quand j'ai vu que cette panique empêchait les parents de s'approprier cette problématique et d'éduquer leurs enfants en fonction de cette réalité, je me suis dit que ça valait la peine d'en parler de manière qualitative et de poser les vrais enjeux", explique-t-elle mercredi dans La Matinale.
"On a un peu l'impression qu'on nous dit à la fois que le porno, c'est très grave (...) mais on ne peut rien faire parce qu'il est partout. C'est une situation qui nous prive totalement du pouvoir d'agir!"
Le porno, simple chapitre de l'éducation sexuelle
L'autrice souhaite donc dédramatiser la question. Et comme il n'y a aucun moyen de garantir qu'un enfant ne tombera jamais sur du porno, il faut leur donner des compétences pour leur permettre d'affronter les situations auxquelles ils pourraient faire face "quand ils sont curieux, ou quand ils sont exposés par des pairs, ou par inadvertance". Selon elle, "c'est la meilleure manière d'éviter que le porno ne pose problème, qu'il choque ou traumatise".
Dans ce but, elle prône une approche globale, centrée sur la sexualité dans son ensemble: "Comme ça, le jour où l'enfant demande: 'C'est quoi du porno?', ça permet de répondre: 'Tu sais, la discussion qu'on a eue sur la sexualité? Eh bien ce sont des gens qui ont une sexualité'. Tout ça s'intègre dans un programme éducatif beaucoup plus large, dès le plus jeune âge mais de manière adaptée à chaque âge."
Violence et consentement au cœur du débat
Car si la pornographie est souvent accusée de biaiser le rapport des jeunes à la sexualité, il n'y a pas de consensus scientifique quant à ses effets concrets, rappelle Coline de Senarclens. "C'est quelque chose de relativement normal que les jeunes et les adolescents en consomment, ça existe depuis toujours et ce n'est pas mauvais en soi", souligne-t-elle.
D'autant que les jeunes savent généralement faire la différence entre réalité et fiction. "Ils ont conscience de ce qu'est une fiction, parce qu'on leur en montre depuis le plus jeune âge, avec des choses qu'ils ne doivent pas faire en vrai", rappelle-t-elle.
Ce que propose la pornographie n'est pas toujours consenti, et ce n'est surtout pas toujours faisable dans le cadre du consentement
Le point essentiel réside donc dans l'apprentissage global de la notion de consentement. "Il faut rappeler que dans la sexualité, la violence n'est pas dans une pratique elle-même, mais dans l'absence de consentement. Une claque sur une fesse, si elle est consentie, n'est pas violente. Et une caresse peut l'être si elle n'est pas consentie", explique-t-elle.
Or, "ce qu'on propose dans la pornographie n'est pas toujours consenti, et surtout ce n'est pas toujours faisable dans le cadre du consentement", poursuit-elle. "Donc quand on parle de violence, il faut toujours replacer le consentement au centre. C'est cette discussion qu'on doit absolument avoir avec nos enfants. Et d'une certaine manière, le porno est une opportunité pour avoir cette conversation."
Propos recueillis par Delphine Gendre
Texte web: Pierrik Jordan
Pour une politique culturelle du porno
Coline de Senarclens propose aussi d'intégrer le tout dans un discours sur le numérique ou la culture dans son ensemble. Car si la pornographie pose problème, c'est principalement en raison de l'évolution des technologies, de son modèle économique et de l'absence d'une politique culturelle.
"L'accessibilité est notamment due à l'avènement des tubes (les sites gratuits, ndlr) sur internet, plus spécifiquement le fait de pouvoir y uploader du matériel. Ce qui fait que depuis 2005, la pornographie est majoritairement piratée et consommée gratuitement. Donc la production est en crise et la qualité de plus en plus mauvaise", expose-t-elle.
La pornographie est donc confrontée à des enjeux liés aux technologies exactement comme d'autres domaines culturels. "On a défendu le cinéma, on a défendu la musique en créant des plateformes et en bloquant les contenus qui n'étaient pas adaptés pour les enfants. On ne l'a pas fait avec la pornographie", déplore-t-elle. "Les politiques ont beaucoup de peine à se saisir de la pornographie autrement que comme un fléau social. En tout cas, il n'y a pas de politique culturelle de la pornographie. On peut penser que c'est normal, mais le résultat, c'est qu'on n'a pas de manière cohérente de gérer ça et d'en protéger les enfants."