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Deepfakes pornographiques: mon visage sur le corps d'une autre

Découvrir sur Internet des vidéos pornographiques de soi sans jamais en avoir tournées? C’est le drame que vit une jeune étudiante, victime de deepfakes, dans le documentaire "Porno et hypertrucages: une intimité volée", disponible sur Play RTS.

Selon les estimations, il existe actuellement environ 2,5 millions de deepfakes en ligne. Ce nombre double tous les six mois. Et 90% de ces contenus sont pornographiques et visent des femmes.

Cette technologie permet de générer des images, vidéos ou enregistrements audios très réalistes mais faux, en imitant l'apparence ou la voix d'une personne. Les auteurs de deepfakes utilisent les images de femmes sans leur consentement et publient ces contenus sur des plateformes ultra fréquentées avec parfois le nom et l’adresse de la victime.

J’avais honte et peur que mon entourage voie ces vidéos. Je craignais que mes parents ne comprennent pas et qu'ils pensent que j'avais fait quelque chose de mal.

Taylor Klein, étudiante

Diffamation, harcèlement mais aussi dépression et suicide: les ravages de cette pratique sont souvent irréversibles. 

"J’avais honte et peur que mon entourage voie ces vidéos. Je craignais que mes parents ne comprennent pas et qu'ils pensent que j'avais fait quelque chose de mal. Je me sentais sale", raconte Taylor Klein dans le documentaire. Devant l'impuissance de la justice, cette étudiante mène l'enquête seule et parvient à identifier l'auteur des deepfakes dont elle est la cible.

Au-delà du harcèlement et du dégât d'image que provoquent ce type de contenu, le film montre à quel point le sentiment de honte et l'absence de condamnation peuvent réduire les victimes au silence.

>> Maëlle Roulet, avocate spécialisée en nouvelles technologies réagit à des extraits du documentaire "Porno et hypertrucages: une intimité volée" :

Docu réactions "Porno et hypertrucage: une intimité volée"
Docu réactions "Porno et hypertrucage: une intimité volée" / Docu réactions / 6 min. / le 16 mai 2024

"La honte, c’est le sentiment recherché par le cybercriminel. Il ne faut surtout pas rester seule face à une telle situation et alerter ses proches pour trouver du soutien", prévient Maëlle Roulet, avocate spécialisée en nouvelle technologies. "En Suisse, il existe des brigades de police spécialisées mais leurs moyens sont limités. La justice est lente alors que les ravages d’un deepfake peuvent être très rapides. Il est important de déposer plainte mais aussi d'agir à d'autres niveaux."

Que faire quand on est victime ? 

"Pour pouvoir supprimer ou limiter la propagation des vidéos le plus rapidement possible, on peut, par exemple, déréférencer le deepfake et créer du contenu supplémentaire pour faire disparaître la vidéo", explique l'avocate qui conseille aussi de signaler le contenu à la plateforme de distribution et d’alerter le moteur de recherche qui référence le site sur lequel se trouve la vidéo.

Dans la majorité des cas, l'auteur est un homme, jeune. Il s'agit d'un copain ou d'un ancien amant avec un désir de vengeance.

Maëlle Roulet, avocate spécialisée en nouvelles technologies

Dans la majorité des cas, la personne qui fabrique ou commande ce genre de vidéo connaît sa victime. "Lorsqu’il n’y a pas de chantage à l’argent, dans la majorité des cas, l'auteur est un homme, jeune. Il s'agit d'un copain ou un ancien amant motivé par un désir de vengeance." 

Identifier l'auteur

Comme le met en lumière le documentaire, Maëlle Roulet observe que contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’auteur n’est pas uniquement identifiable par le biais d’investigations numériques. "La jeune femme qui enquête seule dans le film parvient à identifier l'auteur par le biais de sa vie personnelle, du croisement de données avec d'autres victimes." Cette investigation de terrain passe, par exemple, par l'analyse des photos utilisées et par le fait de chercher à savoir qui serait susceptible de les utiliser et d’avoir une volonté de vengeance.    

En cas de condamnation, l’avocate rappelle que créer un deepfake ou même le partager est un délit qui peut être puni avec des peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement.  

Muriel Reichenbach, Les Documentaires RTS 

"Porno et hypertrucages : une intimité volée" de Sophie Crompton et Reubyn Hamlyn est disponible sur le Play.rts jusqu'au 18 juin.

A qui s’adresser pour du soutien ou des conseils ?
https://www.victimepasseule.ch/lavi

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Questions à Maëlle Roulet, avocate spécialisée en nouvelle technologies

Est-ce possible de faire retirer des vidéos sans en connaître l’auteur?

Il est possible de déposer une plainte pénale contre inconnu. Il est toutefois rare que les autorités pénales identifient l’auteur du deepfake. C’est le gros problème. En Suisse, pour l’instant, sans avoir identifié l’auteur, on ne peut pas exiger des plateformes (Porn Hub, X, etc...) de retirer les images de deepfake. C’est à leur bon vouloir.

Pourquoi la législation actuelle ne suffit pas?

L’urgence est de pouvoir faire retirer les contenus le plus vite possible pour limiter les dégâts pour la victime qui vont de la diffamation aux risques de suicide et de dépression. Aujourd’hui, pour le faire, la procédure civile exige qu’on connaisse l’auteur. Ce travail d’identification va prendre du temps. Un temps que la victime n’a pas pour éviter la propagation.

Où en sont les tentatives de réglementation?

Un projet de consultation sur la réglementation des plateformes de communication (blog, réseaux sociaux,...) a été commandé par le Conseil fédéral qui a chargé le DETEC de rédiger un cadre légal. Le projet aurait dû être communiqué en mars 2024, il a pris du retard. L’OFCOM prévoit de lancer la consultation durant le deuxième semestre de 2024. Si cette réglementation aboutit, ce sera un outil de plus qui devrait permettre de simplifier les demandes de suppression, avec un point de contact des plateformes en Suisse, mais qui ne permettra pas forcément d’exiger la suppression des deepfakes. 

Combien y a-t-il de plaintes déposées pour deepfakes pornographiques, en Suisse?

Il n’existe pas de statistiques visant les deepfakes précisément. Ce que l’on sait toutefois c’est que, en 2023, 6% de la criminalité numérique constituait des délits sexuels. Le Forum économique mondial a par ailleurs constaté une augmentation de 900% par année de deepfakes, politiques et sexuels. En croisant ces données, sans compter les infractions de cyber-atteinte, on peut partir du principe que le nombre de victimes en Suisse est élevé. Toutefois, elles ne portent pas forcément plainte.