En Suisse, 92% des lésions corporelles graves, 97% des agressions sexuelles, 86% des homicides et 84% des accidents mortels sur la route sont causés par des hommes. Ils représentent de facto plus de 94% de la population carcérale.
Ces chiffres proviennent des statistiques de la criminalité en Suisse et en appellent d'autres: les dépenses de la Confédération et des cantons liées à ces comportements asociaux et criminels, également identifiés comme "le coût de la virilité".
Les "coûts de la virilité" en Suisse
Cette idée d'un coût généré par la virilité a été chiffrée par un groupe d'économistes rattachés à l'Université de Lausanne. Fabien Giauque, doctorant en économie, Dijana Simeunovic, gestionnaire de risque à l'Etat de Vaud, et Léane Vota, titulaire d'un Master en économie politique à l'Université de Lausanne, ont passé deux ans plongés dans les statistiques de la criminalité en Suisse.
"On a pris le coût des comportements antisociaux des hommes, chiffrés à 13,2 milliards. Celui des femmes est estimé à 3,8 milliards", explique Léane Vota, présidente de Rethinking Economics Lausanne. "On a fait la différence entre les deux et c'est de cette manière qu'on a obtenu 'le coût de la virilité'." Celui-ci s'élèverait ainsi à près de 9,4 milliards de francs dans notre pays.
Cette estimation, basée sur les coûts pour la Confédération et les cantons, ne prend pas en compte les frais engendrés pour les 2000 communes du pays. "C'était un travail bénévole, on n'avait pas les ressources nécessaires pour le faire. Mais possiblement, notre chiffre pourrait être deux fois moins important que la réalité, voire même trois fois."
Leur rapport de 40 pages, présenté lors des dernières Assises de l'égalité, s'inspire du travail et de la méthodologie d'une historienne et essayiste française, Lucile Peytavin, qui a consacré un ouvrage au sujet (voir encadré). Les chiffres articulés dans ce rapport visent à donner "un ordre d’idée de l’ampleur du phénomène", précise Léane Vota. Ils sont tirés de nombreuses sources cantonales et fédérales. De nombreux montants sont basés sur des hypothèses de calculs.
Le poids des supporters ultra
Le "coût de cette virilité" se retrouve un peu partout, notamment en bordure des terrains de foot. Les débordements des supporters ultra nécessitent un déploiement policier pour les matchs à risque. Il faut éviter que les supporters se croisent, sécuriser les axes de transit et assurer la sécurité.
"D'une manière générale, on a une majorité d'hommes dans cette scène, on a affaire à tous les gens de la société, tous les niveaux sociaux", explique Jean-Christophe Sauterel, directeur prévention et communication de la police cantonale vaudoise. "Pour la saison 2023-2024, les coûts de la sécurité pour la police, toutes polices confondues, pour nos cinq équipes qui jouent en Ligue nationale, que ce soit le foot et le hockey, sont globalement de 2,5 millions."
Un chiffre qui n'inclut pas les dégâts occasionnés par les supporters dans l'espace public. Et encore moins ceux sur les wagons spéciaux mis à disposition du transport des supporters et chiffré à 300'000 francs par année par les CFF
Les hommes surreprésentés dans les accidents de la route
Les hommes sont également largement surreprésentés dans les accidents de la route. Environ 84% des mis en cause dans les accidents mortels sont des hommes. Ils sont aussi les premières victimes de la route.
Et il s'agit du plus gros poste de dépenses pour la Suisse, où l'insécurité routière représente quasiment un tiers du coût de la virilité, autour de 3 milliards. Un comportement à risque bien connu des assureurs automobile. Selon une étude de Comparis, la prime des hommes est supérieure en moyenne de 3% à celle des femmes.
La culture populaire coresponsable
"La culture, et notamment le cinéma populaire, porte aussi sa responsabilité dans la glorification de ces comportements à risques", constate Lucile Peytavin. "On fait croire aux garçons qu'il y a une forme d'impunité et même beaucoup de plaisir à conduire vite et affronter la mort. Quoi de mieux pour prouver qu'on est fort, qu'on se maîtrise, que d'affronter la mort?"
Enfin, là où l'on mesure de manière la plus évidente le coût de la virilité, c'est en s'intéressant aux chiffres des personnes emprisonnées. En 2024 en Suisse, on compte 6681 détenus, dont plus de 94% sont des hommes, indique l'Office fédéral de la statistique. "Le coût de la virilité" pour les services pénitentiaires et judiciaires s'élève ainsi à 1,1 milliard.
Un appel à éduquer autrement
Lucile Peytavin propose d'éduquer les garçons comme les filles. "Quand je dis ça, je sais que ça gratte, parce qu'on en revient à ce mépris du féminin: il ne faut surtout pas que les garçons soient dans l'imaginaire quelque part des filles." Pourtant, il s'agit simplement "d'éduquer les garçons avec des valeurs plus humanistes".
Une ouverture à la réflexion et au débat. Le rapport suisse sur "le coût de la virilité" vient d'être traduit en allemand et des études similaires ont été publiées en Italie et en Belgique, avec des résultats très semblables.
Laetitia Wider
Le "coût de la virilité", quelques indications méthodologiques
Pour Lucie Peytavin, le "coût de la virilité" ne doit pas être confondu avec le coût des hommes. "Le coût de la virilité, ce sont les conséquences financières d'une différence d'éducation entre les hommes et les femmes, et notamment l'éducation à la virilité que nous donnons aux petits garçons et aux hommes tout au long de la vie. Des notions de domination qui les poussent à avoir des comportements de discrimination, de haine, de violence au détriment de l'ensemble de la société, des femmes, mais des hommes eux-mêmes!"
Pas de nature masculine violente
Le propos de Lucile Peytavin est simple. Pour elle, si les hommes se comportaient comme les femmes, la France économiserait 95,2 milliards d'euros chaque année.
"L'avantage de cet essai, c'est qu'il jette un pavé dans la mare", explique Vittorio Gharbi, directeur du patronage laïque Jules Vallès dans lequel Lucile Peytavin a donné une conférence. "Il propose des statistiques tout à fait évidentes et lorsqu'on les reçoit comme ça forcément, ça interroge, d'une manière très pragmatique puisque ça convertit des statistiques en argent sonnant et trébuchant. Lorsqu'on s'adresse au portefeuille, c'est plus impactant."
Lucile Peytavin balaye la plupart des objections qui ramènent à une nature masculine violente. "Aujourd'hui, on a moult études scientifiques très solides, plusieurs sources scientifiques qu'on peut croiser, qui montrent qu'il n'y a pas de nature masculine violente. Il n'y a rien dans la biologie, dans la physiologie des hommes qui les pousseraient à se comporter de cette façon."
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