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Exposer ses enfants sur les réseaux: et si un jour ils nous le reprochaient?

"Ma mère a surexposé ma vie entière sur les réseaux sociaux. Les détails les plus intimes, les informations médicales et des moments très embarrassants": le témoignage de Cam, 24 ans, ouvre le documentaire d’Elisa Jadot "Enfants sous influence – Surexposés au nom du like" disponible sur Play RTS jusqu’au 3 décembre 2024. 

Cam confie aussi que sa mère a même fait état de ses règles sur les réseaux. Et un jour, "quelqu'un, dans la rue, que je ne connaissais même pas m'a dit: 'Félicitations, tu es devenue une femme.'"

La jeune Américaine est une des premières à témoigner et alerter sur les conséquences de ce déballage continu sur sa santé mentale comme sur sa relation avec sa mère. Cam souhaite faire entendre la voix des enfants qui ne peuvent pas s’exprimer, car ils n'ont pas conscience de l’impact de cette exposition sur leur vie privée.

Si un jour, mon fils me reproche d’avoir parlé de sa maladie et donné des informations médicales sur les réseaux sociaux, je lui expliquerai que j’en avais besoin psychologiquement

Jessica Thivenin , influenceuse

Le documentaire part aussi à la rencontre de parents pour tenter de comprendre comment certains en arrivent à partager toujours plus de contenus sans se rendre compte de ce que cela implique. Et pourquoi d’autres le font délibérément.

"Si un jour, mon fils me reproche d’avoir parlé de sa maladie et donné des informations médicales sur les réseaux sociaux, je lui expliquerai que j’en avais besoin psychologiquement. C’était trop dur. Et le fait de partager sur les réseaux, ça m’a rendue forte. Les témoignages de soutien m’ont fait en arriver là", explique Jessica Thivenin, une des mamans influenceuses les plus connues de France avec 6 millions d’abonnés.

C'était comme si tous les bons moments que je passais avec ma mère étaient des moments organisés uniquement pour pouvoir être publiés

Cam, 24 ans

Pour Concetta Scarfò, responsable en compétences numériques chez ProJuventute, ce besoin de soutien, de réconfort et finalement de reconnaissance en tant que parents est légitime. "Il y a un peu cette idée qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Mais le vrai soutien, celui qui sera le plus efficace, c’est celui qu’on trouvera dans son entourage proche ou auprès de professionnels. Il y a quelque chose de déséquilibré dans le fait d'élever un enfant dans un environnement où le soutien n'est que virtuel."

 "Ma mère est devenue tellement accro aux réseaux sociaux, aux likes, aux commentaires bienveillants, à l'attention que c'était comme si tous les bons moments que je passais avec elle étaient des moments organisés uniquement pour pouvoir être publiés", témoigne Cam dans le documentaire. Pour elle, la relation avec sa mère a été complètement parasitée par cette dépendance au regard des autres.

Etre avec ses enfants, sans être vraiment là

"Lorsqu’on voit, par exemple, des parents faire une vidéo et parler à celles et ceux qui les suivent sur les réseaux... tout en disant bonne nuit à leurs enfants: ils sont avec leurs enfants, sans être vraiment là. Il s'agit d'un moment où toute leur attention devrait être pour les enfants", reprend Concetta Scarfò, de ProJuventute.

"Le coucher est un moment où l’enfant doit pouvoir dire ce qu’il a sur le cœur et se sentir en sécurité, en privé. De mon point de vue, il s’agit d’une dérive où il n’y a plus de moment vraiment familial parce que des gens regardent. Il y a une différence entre faire des photos devant un gâteau d'anniversaire pour les partager avec d’autres et des moments intimes. La frontière n’est plus claire, ni pour l’enfant, ni pour l’adulte."

Concetta Scarfò rappelle que les parents sont responsables de garantir la vie privée de leurs enfants. D’autant plus, quand ils ne sont pas encore capables de donner leur consentement éclairé.

>> Concetta Scarfò réagit à des extraits du documentaire d'Elisa Jadot :

Docu réactions "Enfants sous influence - Surexposés au nom du like"
Docu réactions "Enfants sous influence - Surexposés au nom du like" / Docu réactions / 6 min. / le 28 août 2024

En Suisse, un parent sur dix partage des photos et vidéos de ses enfants sur internet, selon une étude de l’Université de Fribourg. "Cette étude décrit notamment un profil de publication selon l'âge du parent et l'âge de l'enfant et met en évidence la génération des 36-40 ans qui à l'époque du lancement de Facebook était la génération cible pour les réseaux sociaux. Ces parents ont développé une habitude de 'tout publier' dans la réalité virtuelle."

Pour la spécialiste, il est important d’ouvrir le débat en famille et avec son entourage afin d'établir des règles claires sur la manière de gérer les photos et vidéos de son enfant.

Muriel Reichenbach – RTS Les Documentaires

"Enfants sous influence - Surexposés au nom du like" d'Elisa Jadot, disponible sur Play RTS jusqu'au 3 décembre 2024

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Quelques conseils si l’on souhaite partager des images de ses enfants

-         Demander l'accord des enfants avant de partager une photo.

-         Eviter d'exposer l'enfant peu habillé, nu ou dans une situation gênante.

-         Eviter les publications qui permettent de reconnaître les visages ou les lieux.

La fondation Protection de l'enfance suisse a récemment lancé une campagne à ce sujet.

La fondation Pro Juventute propose en Suisse romande des ateliers pour les parents sur la gestion des écrans en famille. Ateliers parents en ligne "Compétences numériques" (projuventute.ch)

Enfants et réseaux sociaux: quelques chiffres

Un enfant apparaît en moyenne dans 1300 photos et vidéos sur les réseaux sociaux avant l’âge de 13 ans.

Les vidéos qui montrent un enfant comptabilisent trois fois plus de vues que les vidéos ne comportant aucun enfant.

Au moins 50% des photos et vidéos qui s’échangent sur les réseaux pédocriminels proviendraient des réseaux sociaux et ont été publiées par les parents eux-mêmes.

En Italie, un adolescent a attaqué sa mère en justice pour l'avoir exposé sur les réseaux sociaux sans son consentement. La mère a été condamnée à retirer l'ensemble des contenus faisant référence à son fils sous peine de 10'000 euros d’amende.